IMAGINATION (notions de base)
L’imaginaire plutôt que l’image
Cette continuité entre imagination et raison trouve une confirmation dans les recherches conduites par Gaston Bachelard (1884-1962) et par son disciple Gilbert Durand (1921-2012). Pour Bachelard, il existe une logique de l’imagination qui certes ne doit jamais se confondre avec une explication rationnelle des choses, mais qui est cependant l’opposé même d’un engendrement débridé. On peut s’en rendre compte à condition de considérer l’imagination dans sa capacité à produire des réseaux, des transitions, des transformations.
« Les recherches sur l’imagination sont troublées par la fausse lumière de l’étymologie. On veut toujours que l’imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images [...] Le vocable fondamental qui correspond à l’imagination, ce n’est pas « image », mais « imaginaire ». Grâce à l’imaginaire, l’imagination est essentiellement ouverte, évasive. Elle est [...] l’expérience même de la nouveauté » (L’Air et les songes, 1943). Appliquant cette conception révolutionnaire de l’imagination à la création poétique, Bachelard classe les inspirations des poètes en quatre catégories qui correspondent aux quatre éléments des Anciens et des alchimistes, l'eau, le feu, l'air et la terre : « La rêverie a quatre domaines, quatre pointes par lesquelles elle s'élance dans l'espace infini. »
Gilbert Durand prolonge et infléchit les thèses bachelardiennes dans Les Structures anthropologiques de l’imaginaire (1969). Il les prolonge en appliquant la grille de lecture bachelardienne non pas aux seules productions de poètes, mais à toute la production imaginaire de l’humanité (mythes, contes, œuvres littéraires). Et il les infléchit dans le sillage de Nietzsche en considérant que de l’imagination à la raison se déroule un processus continu qui se présente « comme une constante correction, comme un perpétuel affinement ».
Quand on passe de la pensée de du primitif à celle des membres d’une société développée, on observe « comme un rétrécissement, un refoulement progressif du sens des métaphores. C’est ce “sens” des métaphores, ce grand sémantisme de l’imaginaire qui est la matrice originelle à partir de laquelle toute pensée rationalisée et son cortège sémiologique se déploient ». Gilbert Durand ne se contente pas de réhabiliter l’imaginaire, il en fait la matrice de la raison. Il convient donc de renverser le privilège qui a toujours été accordé au cerveau rationnel pour redonner la primauté à la puissance poétique qui habite l’homme.
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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