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IMAGINATION (notions de base)

Percevoir, imaginer, créer

Pourquoi ne pas supposer que cette même « force poétique », qui crée les images de nos rêves et élabore nos concepts, jouerait un rôle décisif dans l’évolution biologique ? C’est ce que fait Nietzsche en extrapolant cette fonction projective de l'imagination, perceptible dans la moindre de nos actions, à la vie tout entière considérée sous l'angle de l’évolution. Le vivant serait alors capable, à partir de la production d'une « image idéale », de mettre en œuvre des processus encore inconnus aujourd'hui, des processus physico-chimiques qui rapprochent l'animal réel de l’image idéale à laquelle il veut s’identifier. Sommes-nous là en pleine hérésie biologique ? Sans doute pas. Jacques Monod (1910-1976), pourfendeur s'il en est de tous les finalismes, ne va-t-il pas dans le même sens en affirmant qu’« il serait arbitraire et stérile de vouloir nier que l'organe naturel, l'œil, ne représente pas l'aboutissement d'un projet (celui de capter des images) alors qu’il faudrait bien reconnaître cette origine à l’appareil photographique » (Le Hasard et la nécessité, 1970) ? C’est alors la dualité classique entre perception et imagination qui s’en trouve remise en question.

Même si l’on refuse d’adhérer à cette conception iconoclaste de l’évolution, ne doit-on pas reconnaître que, sans l’imagination, l’humanité aurait été condamnée à stagner depuis son apparition sur la planète ? N’est-ce pas en imaginant, en rêvant, que l’homme a su se détacher du présent et se projeter en direction d’un avenir qui n’en est pas la simple répétition, mais qui transcende tout ce que nous connaissons à l’instant t ?

Sur le plan politique, comment expliquer autrement que par la puissance de l’imagination la capacité qu’ont eue nos prédécesseurs d’inventer de nouvelles formes de vivre-ensemble, de nouvelles structures sociales ? Et, si certaines utopies ont engendré des catastrophes, faut-il pour autant se priver de cette faculté sans laquelle rien de nouveau ne saurait naître ? Les hommes ont été capables de projeter en avant d’eux-mêmes de nouveaux types d’environnements. Or qu’est-ce qu’un projet, sinon la projection imaginaire d’un but à atteindre ? Dans l’histoire, ceux qu’on a souvent qualifiés un peu péjorativement d’utopistes ont mis en mouvement les sociétés. Le philosophe politique Ernst Bloch (1885-1977) s’est fait leur avocat dans son livre Le Principe espérance : l’utopiste « voit simplement plus loin que son environnement immédiat, veut améliorer ouvertement les conditions de la vie humaine ». Sans l’imaginaire constructeur d’utopies, nos sociétés auraient été condamnées à répéter depuis toujours la même partition.

— Philippe GRANAROLO

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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