IMMANENCE ET TRANSCENDANCE
La transcendance horizontale
Mais transascendance ou transdescendance ressortissent encore à « l'imagination en hauteur » dont parlait Brunschvicg, et le tout-autre de Jaspers comme le tout-autre d'Emmanuel Lévinas se situent également à la verticale de l'homme. C'est avec l'existentialisme athée de Heidegger et de Sartre qu'on aperçoit une nouvelle forme de la transcendance, tout à la fois intérieure à ce monde-ci et distincte cependant d'une pure immanence qui serait opacité : on est en présence d'une description de l'immanence (la réalité humaine, l'être dans le monde, l'existant) en termes de transcendance horizontale.
Certes, il y a chez Heidegger une sorte d'émergence de l'être hors du néant, mais cette émergence n'a plus rien de commun avec le mouvement classique vers les hauteurs (encore présent chez Nietzsche). C'est que le néant est plutôt la négativité, l'acte de néantisation de l'être qu'opère la réalité humaine. L'essence de cette réalité, qui est son existence même et non une définition épurée, se donne en effet comme ce qui se met en question soi-même comme finitude appréhendant son avenir mortel. Finitude, temporalité, mortalité sont donc liées et ce qui les lie, c'est l'acte de dépassement de soi vers son propre avenir et sa propre mort. Le temps est ek-stase, c'est-à-dire affirmation-négation du passé et du présent par le projet vers l'avenir ; cette extériorité de soi à soi qui est un mouvement vers l'avenir absolu de la mort est proprement la transcendance. Émergence du néant hors de l'être, et du temps hors de la chose, telle est la nature de la réalité humaine qui est dès lors, comme existence intérieure au monde et comme créatrice de l'être au monde, transcendance. C'est aussi ce que Heidegger appelle authenticité et qui se donne comme la « décision-résolue » vers sa mort propre. (Il faut évoquer ici Rilke.)
Sartre, en rejetant cette philosophie de la mort retient cependant la description phénoménologique et existentielle de la conscience comme pouvoir de négation et comme projet. Le pour-soi, qui est néant néantisé au cœur de l'être et de l'en-soi opaque, est essentiellement projet, mouvement de soi hors de soi, être qui se définit par ce qu'il n'est pas et par ce dont il manque : ce pouvoir est proprement la transcendance et celle-ci définit un être (le pour-soi) qui est chose parmi les choses, homme parmi les hommes, immanent à ce monde qu'il constitue en le dépassant.
L'horizon de signification dont Husserl parlait à propos de la connaissance et de la perception est devenu l'horizon existentiel du projet, c'est-à-dire la transcendance de la conscience qui se constitue en posant un monde à dépasser et en se faisant ce dépassement même. La transcendance (l'extériorité) du monde n'est que l'envers de la transcendance de la conscience comme négativité et temporalité. La véritable transcendance est donc non plus celle de l'au-delà vertical mais de l'horizon de l'action humaine, c'est donc celle du pour-soi comme existence et projet, et non plus celle du sujet comme Ego transcendantal à la façon de Kant ou de Husserl.
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Écrit par
- Robert MISRAHI : professeur à l'université de Paris-I
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