Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

IMMÉDIAT

L'illusion de l'immédiat

Kant : l'immédiat aux portes de la connaissance

Dans la Critique de la raison pure, Kant dénonce ce privilège de l'immédiat comme une imposture, comme une illusion. La « révolution copernicienne » faisant de l' objet de la connaissance une construction du sujet connaissant, Kant est amené à rejeter hors de la connaissance toute forme d'immédiateté. D'une part, dans notre contact avec le monde, nous n'avons affaire qu'à des phénomènes ordonnés suivant les formes a priori de l'espace et du temps, si bien que nos représentations les plus immédiates, du fait même qu'elles sont des re-présentations, sont déjà médiatisées. La connaissance de la cause qui produit en nous la représentation nous est irrémédiablement interdite par notre « constitution subjective ». Le pur immédiat se trouve rejeté en deçà de la connaissance. D'autre part, au terme de la construction de l'objet, point final de la théorie de la connaissance, on ne peut pas davantage espérer atteindre la chose telle qu'elle est en elle-même par une « intuition intellectuelle » comme celle qu'impliquait la théorie cartésienne : c'est un privilège qui est réservé à un être divin ; l'homme ne saurait y prétendre.

On comprend pourquoi Kant a consacré de longues pages à réfuter Descartes. C'est dans la critique de la « psychologie rationnelle » que Kant examine le cas de l'« idéalisme problématique » de Descartes. « Problématique » : Kant part en effet du résultat de la Méditation sixième pour en souligner le caractère insuffisant : « Je n'ai aucune raison, y écrit Descartes, de ne pas croire à l'existence des objets extérieurs. » Kant traduit : l'idéalisme cartésien s'est mis dans l'impossibilité d'établir de façon positive l'existence du monde extérieur ; il reste problématique. Or, la raison qu'invoque Kant est, pour nous, très significative : c'est, dit-il, que Descartes a commencé par affirmer que le cogito était la « révélation immédiate » de l'être pensant ; il a dès lors établi un déséquilibre entre le caractère immédiat de cette révélation et le caractère médiat de la connaissance des objets extérieurs. Selon Kant, le cogito n'est que la représentation d'une unité de conscience en laquelle est liée toute représentation : l'unité du « je pense ». L'erreur de Descartes est donc d'avoir confondu cette simple unité avec ce que Kant appelle le « moi empirique » ou « la conscience empiriquement déterminée », c'est-à-dire avec le flux de mes représentations, la diversité de mes pensées. C'est une illusion qui me fait prendre ces représentations pour la révélation immédiate d'un être : elles sont des représentations au même titre que celles des objets extérieurs. La seule différence tient à ce qu'elles sont ordonnées selon le temps – sens interne – au lieu de l'être selon l'espace – sens externe. Ainsi, l'esprit ne peut s'apparaître à lui-même que tel qu'il s'apparaît et non tel qu'il est en soi. L'immédiateté cartésienne, point ultime de la connaissance, est rejetée par Kant au-delà de la portée de l'homme. L'impossibilité de l'atteindre signe la finitude humaine. Kant réussit ainsi à échapper au piège de l'immédiat et à son corrélat : la nécessité d'admettre un Dieu – médiateur transcendant – pour fonder la connaissance. Mais la solution est onéreuse : il faut admettre que la cause de nos représentations est inconnaissable ; que l'objet de notre connaissance, tel qu'il est en lui-même, nous restera à jamais inconnu. N'est-ce pas, sous une forme nouvelle, soumettre la pensée humaine à une transcendance singulièrement limitative ?[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • BERGSON HENRI (1859-1941)

    • Écrit par
    • 8 128 mots
    • 1 média
    L'intuition philosophique a donc pour objet l'immédiat. Mais à quoi reconnaît-on un immédiat ; Pour Bergson, ce n'est pas la manière dont on l'appréhende qui le qualifie comme tel. Ni la réceptivité de l'esprit ni même son entière passivité n'en sont les critères. Pas davantage le ...
  • EXPÉRIENCE

    • Écrit par
    • 7 147 mots
    • 1 média
    On s'accorde en général pour attribuer aux états mentaux que nous appelons des expériences les caractères suivants. En premier lieu, elles sontimmédiates, au sens où les données qu'elles nous présentent appartiennent à une conscience actuelle (ici et maintenant) et paraissent primitives,...
  • RÉALITÉ

    • Écrit par
    • 4 984 mots
    En un premier sens, le réel, c'est le donné, c'est le contenu même de notre expérience. Aussi certains philosophes ont-ils tendance à chercher le réel dans l'immédiat. Comment, en effet, ne pas tenir pour réel ce qui n'est en rien construit, imaginé ou feint, ce qui est simplement,...
  • REID THOMAS (1710-1796)

    • Écrit par
    • 711 mots

    Né à Stracham et mort à Glasgow, le « philosophe écossais » Thomas Reid reçut son éducation au collège Marishal d'Aberdeen, où il étudia la philosophie et la théologie. Il y fut ensuite bibliothécaire jusqu'en 1736. Il partit alors pour l'Angleterre, où, en 1737, il fut nommé pasteur...