IMPÔT Économie fiscale
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Analyse économique de la fiscalité
Les impôts assis sur une base économique et les distorsions économiques
Le problème principal que pose, du point de vue économique, tout impôt assis sur une base de revenu ou de prix est la distorsion des choix qu'il engendre : les impôts sur les revenus du travail renchérissent le coût de ce facteur pour les entreprises employeuses et amputent les revenus nets d'activité, dissuadant donc l'offre de travail et l'effort ; les impôts sur le capital ou ses revenus découragent l'accumulation patrimoniale des ménages et l'investissement des entreprises ; les taxes sur la consommation en augmentent le coût, réduisant la propension à consommer, etc. Bien sûr, ces effets peuvent être plus ou moins importants, selon la sensibilité – ou élasticité – des offres et des demandes de facteurs de production et de biens et services aux prix nets d'impôt. Mais de nombreux économistes ont insisté sur le fardeau que la fiscalité fait peser sur la croissance économique, et notamment sur les risques que certaines catégories de contribuables, en particulier parmi les moins bien rémunérés, soient dès lors découragés de travailler : on parle alors de « trappe à inactivité » pour caractériser les situations des individus qui, s'ils choisissent d'accepter un emploi salarié, perdent leurs droits à diverses allocations sociales et doivent acquitter des impôts sur leurs revenus et leur consommation. Ce qui compte, d'un point de vue économique, c'est le taux marginal effectif, c'est-à-dire la différence entre le surcroît de revenu tiré de l'activité salariée et l'augmentation nette du revenu disponible.
L'ampleur actuelle des prélèvements rend leurs effets potentiellement très sensibles, ce qui explique la montée des considérations économiques dans les débats fiscaux, et l'orientation commune de nombreuses réformes fiscales des dernières décennies, dans la plupart des pays de l'O.C.D.E. sinon en France même, cherchant avant tout à réduire l'intensité des distorsions fiscales dans le fonctionnement des économies en élargissant les assiettes et en réduisant les taux marginaux. En outre, bon nombre de pays, notamment en Europe, mais pas la France, ont adopté une fiscalité directe individualisée, plus conforme que la fiscalité familialisée aux exigences de l'autonomie individuelle et de l'égalité de traitement des genres, mais qui soulève des objections en termes d'équité et pose le difficile problème de la prise en compte des situations familiales et des charges liées à la présence des enfants.
L'impôt forfaitaire et l'effet-revenu pur
Le seul prélèvement qui, en théorie, n'engendre aucune distorsion dans les choix des agents qui le subissent est l'impôt forfaitaire, lequel peut d'ailleurs ne pas être uniforme : ce qui importe, c'est qu'il ne soit assis sur aucune base économique. Cet impôt forfaitaire n'a alors qu'un effet-revenu pur, et aucun effet sur les rémunérations ou les prix relatifs. Préconisé en théorie par de grands auteurs, notamment Vilfredo Pareto au début du xxe siècle, cet impôt a été beaucoup utilisé dans le passé : ainsi, la capitation et tous les impôts censitaires – ceux qui donnaient le droit de vote – étaient-ils de cette nature. La dernière expérience en date est celle de la polltaxbritannique, que Margaret Thatcher, alors Premier ministre, institua en 1990 pour financer les collectivités locales ; mais la taxe uniforme payable par tous les individus majeurs sans distinction fut si impopulaire qu'elle coûta à la « Dame de fer » son poste. C'est que cet impôt, aux vertus idéales pour les économistes, est toujours très mal accepté par les contribuables, qui le jugent généralement injuste, précisément parce qu'il ne tient pas compte des fortunes, bonnes ou mauvaises, des individus.
L'impôt unique
Face à la profusion des prélèvements, de nombreux penseurs sociaux ont été tentés de proposer un impôt unique, qui présenterait l'avantage de la clarté et de la simplicité. L'idée n'est pas nouvelle : au xviiie siècle déjà, elle avait les faveurs de certains philosophes des Lumières. Depuis lors, des économistes de toutes tendances, des plus libéraux, tels Milton Friedman ou Martin Feldstein, à certains des plus engagés à gauche, tel Nicholas Kaldor, ont proposé d'asseoir l'impôt sur une seule assiette, généralement la consommation. L'avantage en serait qu'un tel impôt minimiserait les distorsions dans les incitations à offrir du travail et surtout à épargner et investir, favorisant ainsi la croissance. Le président américain George W. Bush s'est déclaré résolument favorable à un tel impôt sur la consommation, remplaçant tous les impôts sur les revenus. Mais les critiques sont nombreuses, notamment en termes de justice, faisant écho à la remarque cinglante de Voltaire : « Impôt unique, impôt inique ».
Le coin fiscal et la courbe de Laffer
L'écart entre le prix ou la rémunération hors taxe d'un bien ou d'un service et son prix toutes taxes comprises (T.T.C.) est désigné par l'expression « coin fiscal ». Dans le cas du travail, bon nombre d'économistes incluent généralement dans cette différence l'ensemble des prélèvements qui grèvent la rémunération de la main-d'œuvre, y compris les charges sociales, du moins celles qui n'ont pas pour contrepartie directe une prestation proportionnelle aux sommes prélevées. Dans la mesure où l'augmentation du coin fiscal a des effets négatifs sur l'offre et la demande de travail, sur l'épargne et sur l'investissement, il s'ensuit que les recettes fiscales ne sont pas une fonction uniformément croissante des taux de prélèvement. C'est cette intuition que l'économiste américain Arthur Laffer a représentée avec sa fameuse courbe, les recettes fiscales totales croissant d'abord avec le taux d'imposition, jusqu'à atteindre un maximum au-delà duquel elles décroissent lorsque la puissance publique augmente le taux de prélèvement. L'intérêt de cette « courbe de Laffer », qui a inspiré aux États-Unis la politique d'allègements fiscaux des premières années du mandat de Ronald Reagan au début des années 1980, est de suggérer que, dans les économies dont le taux de prélèvement aurait dépassé cet « optimum fiscal » – dont on ne connaît toutefois pas la valeur empirique –, une baisse d'impôts entraînera une augmentation, et non une réduction, des recettes fiscales.
La fiscalité incitative
Si elles sont souvent considérées comme un effet pervers qu'il convient de minimiser, les distorsions engendrées par la fiscalité peuvent, dans de nombreux cas, être délibérément utilisées par les pouvoirs publics pour orienter les comportements des agents privés. L'économiste anglais Arthur Pigou avait, dès les années 1930, conçu les bases de la fiscalité écologique, aujourd'hui résumée par le principe « pollueur-payeur ». Plus généralement, la taxation spécifique du tabac, des alcools, des carburants, les éco-taxes, etc., sont autant d'illustrations de l'usage fait de la fiscalité pour alourdir délibérément le prix d'un bien ou le coût d'usage d'une ressource, de manière à en rendre l'utilisation dissuasive. À l'inverse, les nombreux crédits d'impôts et déductions fiscales, souvent considérés comme des « niches fiscales », ont généralement pour justification première l'incitation du contribuable ; il en est de même, notamment, pour la prime pour l'emploi (P.P.E.), destinée à inciter au travail les salariés les moins qualifiés.
L'équité fiscale
Toute fiscalité entraînant une réduction du pouvoir d'achat des agents économiques qui la supportent, il est légitime de s'interroger sur l'équité du prélèvement. On en distingue généralement deux formes : l'équité horizontale, qui exige que deux contribuables ayant les mêmes caractéristiques et la même situation économique soient traités de manière identique par le fisc et subissent donc le même prélèvement ; et l'équité verticale, qui préconise que le taux de prélèvement s'accroisse avec le niveau de revenu, ou de bien-être, des individus. Le principe d'équité fiscale horizontale, qui équivaut à celui de traitement égal des égaux, est, en pratique, toujours discutable, notamment dans le cas de l'imposition familialisée avec le quotient familial, qui accorde un allègement plus important pour les enfants de familles aisées que pour ceux des familles plus modestes – dans la limite, toutefois, d'un plafond. Quant au principe d'équité verticale, qui implique la progressivité du prélèvement, il est, lui aussi, discutable. Sans doute est-il justifiable, en théorie, par la notion d'utilité marginale décroissante du revenu – c'est-à-dire que la satisfaction procurée par 1 euro supplémentaire est moindre pour celui dont le revenu est déjà élevé que pour celui qui ne dispose que d'un revenu modeste –, que ses partisans dès le xixe siècle mettaient en avant. Pour autant, le principe d'équité verticale est souvent remis en cause parce que contraire au principe méritocratique, voire parce qu'il engendre une fiscalité confiscatoire. Cependant, comme le suggère avec quelque raison le philosophe belge Philippe Van Parijs, les gains de chacun ne sont jamais le seul fruit du talent et des efforts de l'individu ; ils sont aussi dus à l'environnement social dans lequel chacun opère, ce qui justifie en théorie un prélèvement progressif. Certains, dont Van Parijs mais également des libéraux, vont jusqu'à préconiser un impôt négatif – l'État accordant aux moins bien lotis une allocation universelle dégressive financée par un prélèvement progressif sur les plus aisés – et un principe de revenu universel, ou comme le propose l'économiste français Roger Godinot, une allocation compensatoire de revenu (A.C.R.), que la P.P.E. pourrait préfigurer.
La redistribution et la fiscalité optimale
Depuis, au moins, le début du xxe siècle et la montée en puissance des États-providence, la fiscalité a un objectif, plus ou moins explicite et plus ou moins ambitieux, de redistribution du revenu entre les personnes ou les ménages, objectif poursuivi notamment grâce à la progressivité des prélèvements. Mais, contrairement à ce que proposait Vilfredo Pareto, cette redistribution n'est pas, en général, opérée par des impôts et transferts forfaitaires, de sorte qu'elle exerce des effets de distorsion sur les choix individuels des contribuables en matière d'activités économiques. Dès lors, il apparaît qu'il existe généralement un arbitrage entre équité (verticale) et efficience économique : en d'autres termes, la manière dont on le partage influe sur la taille du gâteau ; plus la redistribution se veut égalitaire, plus le coût économique en est élevé. D'où l'idée d'une fiscalité optimale, préfigurée par le principe de Ramsey, qui, dans les années 1920, proposait de taxer d'autant plus un bien ou une activité que l'élasticité de son offre ou de sa demande au prix était plus faible, maximisant ainsi les recettes fiscales ; dans sa version moderne, énoncée par le Prix Nobel d'économie James Mirrlees (1996), la fiscalité optimale résulte d'un arbitrage entre efficacité et équité.
La concurrence fiscale
L'ouverture économique des pays et la mobilité des biens, des services et des facteurs de production, entre territoires à l'intérieur des pays ou entre pays, notamment au sein du Marché unique européen, engendrent une concurrence fiscale horizontale entre les gouvernements. Celle-ci peut être jugée salutaire, en ce qu'elle limite les pouvoirs de taxation d'autorités publiques qui pourraient être tentées, pour différents motifs, de surimposer leurs concitoyens ou certains d'entre eux : la concurrence réduit ainsi la possibilité d'arbitraire fiscal et la capacité de nuisance des gouvernants ; elle pourrait même, comme le suggère l'économiste américain Charles Tiebout en présentant la mobilité des bases comme un processus de « vote avec les pieds », aboutir à une situation optimale. Mais la concurrence fiscale a aussi des inconvénients importants : elle risque, d'une part, d'entraîner les gouvernements vers une course au moins-disant fiscal, dont le résultat serait une offre insuffisante de biens et de services publics ; et, d'autre part, elle tend à faire supporter une part disproportionnée des prélèvements aux contribuables ou aux facteurs les moins mobiles, ce qui est souvent inefficace et toujours inique.
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Écrit par
- Jacques LE CACHEUX : professeur des Universités à l'université de Pau et des pays de l'Adour
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