IMPRESSIONNISME
Divergences et variations
Degas et Toulouse-Lautrec
Qui examine de près les querelles intestines du groupe constate tout d'abord qu'elles sont dues à des différences de tempérament et croit devoir distinguer la plus vive de ces différences en la personne de Degas. Celui-ci s'est toujours montré réticent devant l'opinion générale du groupe, réfractaire à ses plans et ses intentions. Peut-être serait-ce avec Pissarro que cette opposition se marque plus particulièrement. Peut-être est-ce avec cet homme qui est en relations avec les milieux anarchistes et qu'inspire le souffle d'humanitarisme et d'apostolat de tant de grandes figures juives, que Degas, parisien d'origine aristocratique, esprit critique, incisif, amer, de tendance réactionnaire, peut se sentir le plus en opposition. L'opposition s'étend au plan plastique, Pissarro, « l'humble et colossal Pissarro », comme l'appelle Cézanne, est un amoureux de la nature. Il l'aime d'un cœur candide et tendre. Le site qu'il contemple, il l'approfondit par ses routes tournantes, il se confond avec ses mouvements de terrain et de végétation. Souvent il y ajoute une paysanne, c'est-à-dire une figure humaine. Par là il rejoint son grand aîné de Barbizon, Millet. Degas ne connaît guère la nature que par les courses. Ou par le corps de la femme, qu'elle se lave en son tub ou danse sous les feux de la rampe de l'Opéra et ainsi se contorsionne au gré d'un œil inlassablement curieux. Cette curiosité des gestes les plus forcés s'excite aussi à des recherches de métier, savamment, passionnément. Comme s'il s'impatientait d'avance de la douloureuse cécité qui accablera sa vieillesse, ces recherches aboutissent à des irisations, à des flambées de plus en plus fantastiques. C'est aussi un dessinateur, élève de Lamothe, lequel fut élève d'Ingres, et cela le situe dans une tradition complètement différente de celle de ses camarades, ces derniers se réclamant de Delacroix. Et ce qu'il a emprunté aux Japonais est encore de l'ordre du dessin : ce sont leurs mises en page coupées, leur géométrie bizarre. En résumé, il y a un point sur lequel il est vraiment hétérogène à l'impressionnisme : le plein air. Fromentin estime qu'on s'est mis à accorder au plein air une importance excessive. Duranty, dans une brochure sur La Nouvelle Peinture (1876), défend celle-ci de ce reproche, quoique de façon assez insidieuse, et surtout la considère comme un effort valable, mais nullement réalisé. Duranty est un ami de Degas et un romancier réaliste. Déjà le terme réalisme est remplacé en littérature par le terme naturalisme. C'est le nom de l'école fondée par Zola et les romanciers qui se réunissent autour de lui dans les Soirées de Médan (1880). Le naturalisme, dans son développement, ne peut que s'éloigner de l'impressionnisme. Ainsi Zola se montre-t-il à l'égard de l'impressionnisme plus critique encore – et plus franchement – que Duranty. Tempérament de puissant romancier, mais non pas tempérament artiste, il semble qu'il n'ait rien compris à une peinture qu'il avait commencé par défendre et qui, finalement, l'a déçu. Toutes ces précieuses fantaisies chromatiques ne sauraient que laisser mécontents et insatisfaits des hommes dont l'œil veut voir autre chose : à savoir la réalité sociale, quotidienne, vulgaire, grise. C'est pourquoi Degas peut leur plaire par la vérité féroce des gestes qu'il reproduit, ceux des rats de ballet, ceux des repasseuses. C'est aussi pourquoi Degas s'est entiché de Jean-François Raffaëlli et s'escrime à introduire ce petit anecdotier, d'ailleurs assez cocasse, dans le groupe des impressionnistes qui n'en veulent à aucun prix.
Au reste, il ne[...]
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Écrit par
- Jean CASSOU : écrivain
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