IMPROVISATION MUSICALE
Improvisation et aléa
Dans les années cinquante, en Amérique, Earle Brown, Morton Feldman, John Cage brisent le concept d'œuvre envisagée comme objet d'art « fini », déterminée par le contrôle « absolu » du compositeur sur l'écriture. L'indétermination va contaminer jusqu'à l'acte même de création. Ainsi, la responsabilité face au résultat sonore, face à la partition écrite se voit remise en question et, avec elle, la perception, l'appréhension, les habitudes des interprètes en regard du nouveau rôle que les compositeurs leur confient. Brown, avec Calder Piece (1951), remplace le chef d'orchestre par un mobile de Calder. En acceptant la perte de certains de leurs pouvoirs, les créateurs pensent avoir conquis la mobilité, l'ouverture de l'œuvre sur un avenir toujours renouvelé car partiellement indéterminé. Feldman, lui, invente un langage graphique permettant de s'échapper des contraintes « directionnelles » d'une notation devenue désormais trop « autoritaire ». Dans Projection II (1952), Intersection III (1953), les notes disparaissent pour laisser place à des symboles graphiques de plus en plus proches de la représentation picturale abstraite. La perception sensible et unique de chaque instrumentiste est ainsi requise, dans l'acte magique, re-ritualisé de la création. Par cette création partagée, libérée du diktat de la pensée inaliénable du compositeur, la démocratisation de la musique devait s'opérer...
Cage utilise le tirage au sort et la méthode du Yijing (Livre des mutations, livre ancien d'oracles chinois) dans le choix de son matériau et pour l'élaboration de ses compositions. L' aléatoire, ainsi pris en compte, situe la musique en dehors du temps par l'abandon même de la structure qu'il subvertit, comme dans le Concert for Piano and Orchestra de 1958. Dans les années 1960-1965, ce courant de « réactivation du hasard » franchit l'Atlantique et marque de son empreinte l'école postsérielle. Cage, dans le temple du sérialisme, à Darmstadt, avait apporté, en 1958, les germes de ce nouveau culte. En fait, la musique sérielle (que l'on croyait tout d'abord la plus éloignée de la tentation de l'aléa) poursuit son évolution logique ! Par la surdétermination de tous les paramètres sonores (maîtrisés à l'écriture, mais brouillés à l'audition), elle se prête, en effet, à accepter l'imprévisibilité, la surrelativité de l'aléatoire. Sous l'impulsion de Stockhausen et de Boulez, ce « hasard » se veut « objectif ». La mobilité, l'ouverture vers le « non-attendu », mais toutefois « envisagé », s'allient à la notion de permanence inhérente à l'œuvre occidentale, et ce, tout d'abord, avec le Klavierstück XI de Stockhausen (1956) et la 3e Sonate pour piano de Boulez (1957-1958). L'aléatoire européen, contrairement à celui qui était venu d'outre-Atlantique, ne dépasse pas le seuil d'indétermination ambigu et fragile au-delà duquel le compositeur ne maîtrise plus sa création. Ainsi, seuls certains paramètres sont livrés au hasard. Curieusement, la structure succombe la première.
Et Boulez d'inventer ses formants (3e Sonate) qui, bien qu'entièrement écrits, offrent à l'interprète un certain nombre de « parcours » possibles. Et Stockhausen de considérer la partition (Klavierstück XI), au travers de dix-neuf structures musicales autonomes (déterminées au hasard par le choix de l'interprète dans leur succession) comme un « son dont les partiels, les composants sont organisés d'après des règles statistiques ». Bref, l'ultime subtilité de la musique sérielle consiste à avoir absorbé l'aléatoire. Les idées font cependant leur chemin, les possibilités se diversifient, de nouveaux rapports créateur-interprète-auditeur[...]
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Écrit par
- André-Pierre BOESWILLWALD : compositeur, membre fondateur de la Confédération internationale des musiques électro-acoustiques (C.I.M.E.-U.N.E.S.C.O.), chercheur au Groupe de musique électro-acoustique de Bourges, professeur au Conservatoire national de la région d'Amiens, conseiller fondateur du studio Delta P à La Rochelle
- Alain FÉRON : compositeur, critique, musicologue, producteur de radio
- Pierre-Paul LACAS : psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne, musicologue, président de l'Association française de défense de l'orgue ancien
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Médias
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