LAKATOS IMRE (1922-1974)
Œuvre scientifique de Lakatos
Lakatos a connu deux maîtres à penser : G. Polya, son ex-compatriote, et K. Popper, son collègue à la London School of Economics.Ilsont influencé ses idées figurant principalement dans son œuvre la plus connue, Preuves et réfutations, ce que signale d’ailleurs l’auteur dans ses remerciements. Dans l’introduction, il précise : « L’objet de cet essai est d’aborder certains problèmes de méthodologie des mathématiques. J’utilise le terme “méthodologie” dans le sens qui s’apparente à celui de “heuristique” chez Polya et Bernays, et à celui des locutions “logique de la découverte” ou “logique situationnelle” de Popper. […] Le cœur de la présente étude […] interpellera le formalismemathématique […] Son modeste projet est d’étudier en détail la thèse suivant laquelle les mathématiques non formelles, quasi empiriques ne se développent pas dans un accroissement continu du nombre de théorèmes indubitablement établis, mais dans l’amélioration incessante des conjectures grâce à la spéculation et à la critique, grâce à la logique des preuves et réfutations. » En d’autres termes, aucune démonstration ne peut être tenue pour définitivement établie.
Pour mener à bien son projet, Lakatos imagine une classe s’intéressant à une relation existant entre le nombre S de sommets, le nombre A d’arêtes et le nombre F de faces d’un polyèdre. Il relate un dialogue entre le professeur (qu’il appelle le Maître) et ses élèves (qu’il nomme Alpha, Bêta…) lorsque ceux-ci ont découvert, après plusieurs essais et erreurs, que la formule d’Euler est valable pour tous les polyèdres réguliers. Certains élèves pensent que cette relation vaut également pour un polyèdre quelconque, tandis que d’autres croient le contraire et s’efforcent de réfuter cette conjecture. La présentation de cette leçon imaginaire, sous forme de dialogues fictifs, n’est pas anodine dans la mesure où elle « devrait refléter la dialectique de l’histoire ; son intention est de rendre compte d’une sorte de reconstruction rationnelle de l’histoire, une histoire “distillée” ».
Ainsi, les discussions à propos de la formule d’Euler « reconstituent de façon vivante cet épisode de l’histoire des mathématiques dans lequel la découverte et l’invention apparaissent dans tous leurs aspects heuristiques, épistémologiques et philosophiques ». Cette vision des mathématiques, à l’instar de celle de son premier mentor Polya, va ultérieurement intéresser des didacticiens disciplinaires.
Notons encore que Lakatos analysa finement d’autres illustres cas historiques. Par exemple, il s’intéressa au programme de recherche de la relativité d’Einstein ou à la théorie ondulatoire de la lumière de Fresnel. Il s’attarda également sur le concept de continuum chez Cauchy et en déduisit notamment que l’« analyse non standard », créée par Abraham Robinson (1918-1974) dans les années 1960, suggère « une réévaluation radicale de l’histoire du calcul infinitésimal. »
En épistémologie, on peut retenir grosso modo que Lakatos reprit, en les affinant, des idées de son maître Popper ; celui-ci fut un adepte d’une science déductive et introduisit le critère de réfutabilité d’une théorie pour évaluer sa valeur scientifique. Pour Lakatos, au contraire, une attention particulière doit être accordée aux programmes de recherche qui concernent une théorie exempte de réfutabilité. Ils peuvent différer tout en possédant un grand intérêt ; c’est grâce à cette diversité que l’histoire des sciences progresse généralement.
Durant sa période londonienne, Lakatos travailla notamment avec le philosophe des sciences, d’origine autrichienne, Paul Karl Feyerabend (1924-1994). Ensemble, ils avaient décidé d’écrire un dialogue dans lequel chacun défendrait ses idées : Lakatos allait[...]
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Écrit par
- Jacques BAIR : professeur émérite de l'université de Liège, Belgique
Classification
Média
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