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IN THE MOOD FOR LOVE, film de Wong Kar-wai

Hong Kong mon amour

Les films précédents de Wong avaient déjà pour cadre le Hong Kong du début des années 1960, celui qu'il avait connu enfant après que, de Shanghai, ses parents y eurent émigré, dans une période d'incertitude et de guerre froide. Passé figé, idéalisé pour le meilleur comme pour le pire, et jusque-là représenté avec un grand souci de naturalisme dans le détail. Avec In the Mood for Love, et plus encore avec 2046 (2004), au titre significatif (année du retour définitif de Hong Kong à la Chine), il n'oublie pas le réalisme des accessoires (par exemple les repas occidentaux pris au restaurant), mais c'est avant tout le monde des sentiments qui est dépeint.

Pour cela, rien de plus efficace que la musique. Les personnages écoutent les musiques qu'enfant Wong entendait, depuis Nat King Cole et Quizas, quizas jusqu'à des airs d'opéras traditionnels chinois, en passant par les chansons occidentalisées de Rebecca Pan, vedette des années 1960 qui incarne ici Mme Suen. Le titre original du film est celui de la chanson que M. Chan dédie, via la radio, à sa femme pour son anniversaire : Nos années comme des fleurs ; c'est aussi une dédicace, plus discrète, du réalisateur de ce film à son enfance.

Valse-hésitation des sentiments, le film attache à l'amour de ses héros une mélodie de valse (réminiscence encore, de Yumeji (1991), un film de Seijun Suzuki, auteur de mélos et de films de gangsters « yakuza »). Sa construction, très musicale, s'appuie sur la figure du leitmotiv, et multiplie les retours, les répétitions et les différences (comme lorsque, à deux reprises, les amoureux incarnent le conjoint de l'autre). Elle abonde aussi, de façon plus systématique encore que dans les films précédents de Wong, en effets d'image et de montage, tous calculés en vue d'une légère perte de réalité. Les ellipses sont radicales, déroutant la compréhension ordinaire ; des inserts entre deux scènes (une fumée de cigarette, une main) font flotter le temps, le gorgent de sentimentalité. Plus évidemment musical, et associé à la valse leitmotiv, le ralenti ajoute encore à ce déploiement de sensations de rêve.

L'histoire tout entière est bel et bien comme un rêve, doux et triste à la fois. Les couleurs, où règnent le vert glauque et le violacé, participent de la même impression – tandis que quelques taches de rouge s'y détachent pour introduire le thème de la passion : grands voilages au long du corridor de l'hôtel, dessus de lit de la chambre qu'y occupe Chow, robe rouge que par deux fois arbore Mme Chan. Les jeux de cadre et de cache, dont Wong est un spécialiste depuis Nos Années sauvages (A Fei zheng zhuan, 1991), parachèvent le sentiment de perte délicieuse du réel. Miroirs, souvent associés au mensonge, plus souvent encore au trouble et au doute ; scènes commençant par un gros plan et ne s'expliquant qu'ensuite, reflets pris pour le réel...

Dans ce puzzle visuel, le point de repère le plus sûr reste les robes cheong-san portées par Maggie Cheung, qui changent ostensiblement à chaque scène (on raconte qu'il y en eut quarante-six au total) – comme celles de Delphine Seyrig dans L'Année dernière à Marienbad (1961), dont le réalisateur a dit s'être inspiré. Aussi bien, la critique a souvent comparé Wong à Resnais – mais un Resnais cool, toujours soucieux de rester « in the mood ».

— Jacques AUMONT

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales

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Média

<em>In the Mood for Love</em>, Wong Kar-wai - crédits : 2000 USA Films/ Online USA/ Hulton Archive/ Getty Images

In the Mood for Love, Wong Kar-wai

Autres références

  • HONG KONG CINÉMA DE

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    ...patriarche. Après Happy Together (1997), film d’amour gay conçu comme une revendication de liberté en matière de création face au régime de Pékin, il a connu un succès mondial avec In the Mood for Love (2000), romance raffinée qui se situe dans la tradition du mélodrame cantonais des années 1960....
  • WONG KAR-WAI (1958- )

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    Après ce film quasi expérimental, Wong Kar-wai s'attelle à un projet ambitieux, qui deviendra In the Mood for Love (2000). Des trois intrigues entremêlées, à trois époques différentes, le cinéaste n'en conserve qu'une seule, mais le tournage s'étale sur quinze mois, en alternance avec celui de...