INCESTE
Dans toutes les sociétés connues, l'inceste est prohibé, et l'infraction à la règle sévèrement châtiée : l'interdiction, pour un homme, d'avoir des relations sexuelles avec de proches parentes, apparaît comme une loi universelle, et par conséquent liée à la nature humaine elle-même. Le contenu de la prohibition varie cependant selon les sociétés, et vise des catégories de parentes différentes. La règle est donc fixée par la culture, et tient de la culture son caractère coercitif. Comment la prohibition de l'inceste peut-elle présenter simultanément les caractères universels des lois de la nature et les traits particuliers des règles de la culture ? Il faut – par-delà les idées et les généralisations courantes – établir d'abord les faits, et enregistrer les régularités observables : à quelques exceptions près, fort significatives il est vrai, comme l'Égypte antique, le mariage avec les parentes composant la même famille nucléaire qu'Ego est universellement prohibé. Quant d'autres parentes sont interdites, elles sont dans la nomenclature de la parenté considérées comme la mère, la sœur ou la fille. La fonction de la prohibition de l'inceste se manifeste ainsi : en interdisant à l'homme de prendre pour femme ses parentes les plus proches, elles le contraignent à entrer en communication avec d'autres unités que celles dont il est issu. La prohibition n'est donc que le côté négatif d'une règle positive, qui institue entre les unités sociales circulation et échange. Règle universelle, la prohibition de l'inceste est la démarche fondamentale par quoi s'accomplit le passage de la nature à la culture.
On traitera ce problème en examinant, d'abord, les idées et les généralisations auxquelles il a donné matière. Il faudra, ensuite, établir soigneusement les faits et discerner les régularités observables dans l'univers des cultures. On pourra, enfin, proposer des explications, en distinguant deux types de sociétés, selon que le système de parenté est de structure élémentaire ou complexe.
Approches et généralisations
Il n'y a guère de cultures où la prohibition de l'inceste demeure sans justification : ici ce sont des mythes et des rites qui commentent l'interdit, là ce sont des constructions théologiques, ailleurs encore ce sont des générations philosophiques. Dans notre propre culture, on peut distinguer trois types d'explication.
L'impossible consanguinité
L'une des plus courantes, parce que la formulation théorique prête l'apparence de la rigueur à des idées populaires, est que la prohibition de l'inceste serait une mesure de protection visant à mettre l'espèce humaine à l'abri des effets néfastes que produiraient les mariages consanguins. Développé par Lewis H. Morgan et par Henry Maine, ce thème, en réalité, est d'origine récente : on ne le trouve pas attesté avant le xvie siècle. Loin d'être universel, comme il le faudrait, puisque la règle à expliquer est elle-même universelle, il n'est présent que dans un petit nombre de cultures. Le caractère idéologique est patent, du fait qu'il prête à l'humanité primitive une intention contraire à ce qu'elle manifeste depuis le paléolithique : les procédés de reproduction endogamiques, loin d'être évités, sont consciemment recherchés pour perfectionner les espèces. L' exogamie pratiquée par les groupes humains, au surplus, n'a nullement pour but de limiter la variabilité de caractères biologiquement héréditaires ou de réduire les risques de mutations fâcheuses, mais de mettre en communication des segments sociaux distincts. Les mariages exogames sont donc, biologiquement, contractés au hasard. Ils ne peuvent, en conséquence, avoir d'effets bénéfiques ou maléfiques. Les calculs des généticiens montrent, quoi qu'il en[...]
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Écrit par
- Jean CUISENIER : conservateur en chef du musée des Arts et Traditions populaires, directeur de recherche au C.N.R.S.
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