INCESTE
Les faits et régularités observables
L'échantillon de l'univers des cultures constitué par G. P. Murdock permet, d'abord, d'enregistrer, sans aucune ambiguïté, l'universalité de la prohibition de l'inceste : ni le mariage ni les relations sexuelles prémaritales ou postmaritales ne sont autorisées, pour aucune des sociétés de l'échantillon, avec l'un des trois parents possibles de l'autre sexe dans la famille nucléaire.
La règle et ses exceptions
La méthodologie qui préside à la construction de l'échantillon laisse échapper, il est vrai, des exceptions significatives : les Azandé, dont les nobles se marient avec leurs filles, les Hawaïens, dont l'aristocratie pratique le mariage entre frères et sœurs, les Incas, pour la famille royale ou certains tout au moins de ses membres. Mais le cas le plus net est celui de l' Égypte antique (Russel Middleton). Plusieurs exemples de mariages entre frères et sœurs sont attestés dès la période pharaonique : Tao II, Ahmose, Amenhotep Ier, Thutmose Ier, Thutmose II, Thutmose III, Amenhotep II, Thutmose IV (XVIIIe dynastie, 1570-1397 av. J.-C.), mais aucun n'est certain hors des familles du pharaon. À la période suivante, sur treize Ptolémées qui occupèrent le trône, sept se marièrent avec leurs sœurs ou demi-sœurs. La mariage le plus célèbre de ce genre fut celui qui unit Ptolémée XIII avec sa sœur Cléopâtre VI. À la période romaine, enfin, les cas bien attestés abondent et paraissent concerner les différentes classes sociales et les différents districts géographiques. L'explication de la pratique égyptienne reste controversée.
Il y a lieu de remarquer, toutefois, qu'en soi, elle ne constitue nullement une exception à la règle : le mariage demeure interdit avec la mère et avec la fille. Des indices montrent en outre qu'il n'est autorisé qu'avec la sœur aînée, et nullement avec la cadette (Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté).
La prohibition étendue aux proches parentes
Précieux pour la théorie, dans la mesure où ils contraignent à rechercher des explications plus fines, les cas de sociétés où le mariage est autorisé, voire prescrit, entre père et fille ou frère et sœur, sont statistiquement exceptionnels. Aussi l'effort d'établissement des faits vise-t-il à enregistrer exactement les cas de mariage avec d'autres proches parentes que la mère, la sœur ou la fille. L'échantillon de Murdock fait ainsi apparaître que la prohibition de l'inceste n'est jamais limitée exclusivement à la famille nucléaire, mais qu'elle vise toujours plusieurs proches parentes. Il n'est pas indifférent de constater que dans la plupart des cas où la relation sexuelle est interdite avec une parente telle que la tante, la cousine ou la nièce, celles-ci sont désignées dans la nomenclature de la parenté d'un terme qui les inclut dans la classe de la parenté la plus proche, mère, sœur ou fille.
Prohibition et prescriptions
L'échantillon de Murdock permet enfin d'évaluer non seulement la marge dans laquelle varie le contenue de la prohibition, mais encore le lien entre prohibition et prescription. Les parentes avec qui les relations sexuelles et le mariage sont interdits dans une société sont souvent aussi celles avec qui elles sont privilégiées ou prescrites dans une autre. Et il est fréquent que, dans une autre société, les relations sexuelles et le mariage soient interdits avec des parentes aussi éloignées dans l'espace généalogique que celles avec qui elles sont privilégiées ou prescrites. Les règles gouvernant le mariage entre cousins le montrent bien : les six paires de cousins théoriquement constructibles rapprochent en effet des parents biologiquement équidistants. Or, dans la plupart des cultures, ces paires sont traitées de manière significativement différente.[...]
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Écrit par
- Jean CUISENIER : conservateur en chef du musée des Arts et Traditions populaires, directeur de recherche au C.N.R.S.
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