INCIVILITÉ
Les orientations de la recherche
Les incivilités se trouvent versées au chapitre consacré aux « Déviances et délits » dans l'ouvrage collectif dirigé par Olivier Galland et Yannick Lemel, La Nouvelle Société française (1998). S. Roché les définit comme « ensemble de nuisances sociales extraordinairement variées qui ne blessent pas physiquement les personnes, mais bousculent les règles élémentaires de la vie sociale qui permettent la confiance ». Elles rassemblent ainsi tous les comportements qui menacent l'ordre public, la paix sociale, la tranquillité des citoyens. Irrespect et impolitesse, dégradations et troubles du voisinage témoignent d'une transgression délibérée des codes sociaux, et d'écarts ou d'excès par rapport à une moralité entendue en termes de loi et de morale. Insultes, tags, vacarme sont les produits d'une agressivité face à laquelle les réponses oscillent entre permissivité et punitivité, prévention et répression. Interprétées comme déficit de citoyenneté, ces incivilités, bien connues mais mal dénombrées, engendrent une méfiance croissante à l'égard des institutions (la police et la justice, notamment), et incitent au repli sur soi, sur la famille et les amis (la « petite société » à usage personnel décrite par Tocqueville), c'est-à-dire au retranchement de la collectivité qu'est la « grande société ». Quant aux jugements portés sur elles par l'opinion publique, ils sont examinés au moyen de l'enquête naguère conduite par Jean Stoetzel sur Les Valeurs du temps présent (1984).
Une autre analyse a été développée par Hugues Lagrange dans La Civilité à l'épreuve. Crime et sentiment d'insécurité (1995). Par la seconde partie de son titre, elle ne diffère guère de la perspective précédemment ouverte. Mais elle fait une place plus large à l'arrière-plan historique. Appréhendées comme indices d'un processus de civilisation des mœurs, les incivilités sont par là même inscrites dans la longue durée. Il est rappelé comment, en France, l'État absolutiste a neutralisé les pulsions, comment a progressé le contrôle social et émergé l'estime de soi. Or ce mouvement de répression des instincts s'est inversé au cours des dernières décennies. Cette inversion a pour origine la disparition de l'alternative au capitalisme que représentaient la lutte des classes, les conflits ouvriers et la cohésion qui en résultait. Elle s'est produite dans les pays les plus développés, aux États-Unis et en Europe, c'est-à-dire là où le processus de refoulement de la violence a été le plus accentué. Ainsi, « Le retour de la violence dans les rapports civils, le développement sur une large échelle des incivilités ont créé un contexte nouveau par rapport à celui qui prévalait jusqu'à la fin des années 1960, où la violence était plus souvent canalisée dans les voies reconnues de la lutte sociale et politique. »
Il est remarquable que la quasi-totalité des études sur les incivilités fassent référence à Norbert Elias, et, très précisément, à La Civilisation des mœurs et à La Dynamique de l'Occident. Ce renvoi est bien marqué dans le fascicule de synthèse réalisé par Julien Damon sur Les Incivilités (2000). On notera cependant que le processus balisé au fil desdits ouvrages est susceptible de retouches et de révisions telles que l'on est amené à le reconsidérer dans sa globalité, et à traiter autrement les incivilités. On relèvera aussi combien est schématique la relation incivilités-insécurité, et appauvrissante la réduction de l'incivilité à la détérioration de boîtes aux lettres, à l'occupation de montées d'escaliers, etc. Le retour au singulier s'impose donc dans l'examen de ce que représente l'incivilité par rapport à la civilité.[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Bernard VALADE
: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique
Classification