INCONSCIENT (notions de base)
Sigmund Freud (1856-1939) a pesé d’un tel poids dans la formulation de la notion d’inconscient qu’il est trop souvent perçu comme celui qui l’aurait découvert, à la façon dont les « inventeurs » d’un trésor arrachent à sa cachette un coffre rempli d’or qui avait jusqu’alors échappé à tous les regards. Même s’il ne s’agit nullement de nier l’importance de la théorie freudienne ni de minimiser les multiples influences qu’elle a pu exercer tout au long du xxe siècle, il nous faut revenir bien en amont de Freud pour explorer les étapes qui ont précédé les découvertes de la psychanalyse.
L’inconscient freudien est la partie immergée de notre psychisme : une image proposée par le père de la psychanalyse affirme que, tel un iceberg dont seule une petite partie émergée est visible, notre psychè comprend une très faible part de contenus conscients auxquels le sujet a librement accès, et une part bien plus importante de contenus enfouis qui restent absolument inaccessibles. Cet inconscient psychique contient d’une part les instincts profonds du vivant que nous sommes, et d’autre part les désirs refoulés par la personne. Il s’agit donc d’un inconscient pulsionnel, dans lequel le sujet devra puiser l’énergie nécessaire à ses projets en les détournant de leurs buts initiaux. Avant Freud, de nombreux philosophes ont exploré une autre dimension de l’inconscient : il s’agit du vaste domaine de ce que l’on peut dénommer « inconscient intellectuel ».
Leibniz et les « petites perceptions »
Est-ce parce qu’il est, avec Isaac Newton (1643-1727), l’inventeur du calcul infinitésimal, que Gottfried Leibniz (1646-1716) a construit, dans ses Nouveaux essais sur l’entendement (1763), la théorie des « petites perceptions », ou parce qu’il veut apparaître comme l’adversaire privilégié de Descartes et des thèses cartésiennes prêtant un libre arbitre au sujet pensant ? Le philosophe choisit l’exemple du bruit de l’eau, que ce soit celui des vagues se brisant contre une falaise, ou celui d’une cascade quand elle heurte le plan d’eau sur lequel elle aboutit. Qu’est-ce qui nous permet d’entendre un tel bruit ? Pour que cela soit possible, « il faut bien », écrit Leibniz, « qu’on entende les parties qui composent ce tout, c’est-à-dire le bruit de chaque vague ». Si nous n’étions pas « affectés », pour reprendre le terme utilisé par Leibniz, par le bruit de chaque vague ou de chaque goutte d’eau de la cascade, comment pourrions-nous entendre le bruit émis par l’ensemble des vagues ou par la totalité des gouttes d’eau de la cascade ? Car « cent mille riens ne sauraient faire quelque chose ». Il y a donc bien en nous une « affection » provoquée par chacune des gouttes d’eau, mais le bruit émis par cette goutte d’eau, si elle était unique, nous resterait insensible. C’est la somme, ou si l’on préfère un terme plus mathématique, c’est l’intégrale de ces perceptions inconscientes qui provoque la perception consciente de l’ensemble.
Leibniz va développer une argumentation analogue pour réfuter la théorie cartésienne du « libre arbitre ». Si je suis convaincu que c’est ma volonté qui, à la suite d’une représentation mentale, choisit de m’amener à lever mon bras, c’est parce que je suis aveugle aux « petits mouvements » qui ont commencé à se manifester dans mon corps avant même que ma décision consciente soit prise. C’est l’enregistrement par ma conscience de la somme de ces micromouvements qui déclenche en moi la « volonté » de lever mon bras, volonté illusoire qui ne correspond pas à la réalité de ce qui se déroule dans mon corps.
Lorsque Freud écrit « qu’une chose se passe dans ton âme ou que tu en sois de plus averti, voilà qui n’est pas la même chose », il prolonge et partage la vision de Leibniz.
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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