Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

INCONSCIENT (notions de base)

La manipulation des vivants par la Volonté

Deux siècles plus tard, Arthur Schopenhauer (1788-1860), un philosophe majeur bien qu’ignoré de tous durant son existence, élabore une théorie de l’inconscient qui présente davantage d’analogies avec l’édifice freudien que les thèses leibniziennes.

Dans l’ouvrage essentiel qu’il n’a cessé d’écrire et de réécrire, Le Monde comme volonté et comme représentation (première édition en 1818), Schopenhauer bâtit une métaphysique qui a pour ambition de nous ouvrir les portes du monde « en soi », celui précisément qu’Emmanuel Kant (1724-1804) avait déclaré hors d’accès. Selon Schopenhauer, la totalité du monde visible n’est rien d’autre que la représentation (Kant aurait utilisé le terme « phénomène ») qu’inventent les êtres vivants. Ceux-ci sont les jouets de la « Volonté ». « C’est faire pléonasme que de dire “la volonté de vivre”, et non pas simplement “la volonté”, car c’est tout un », remarque le philosophe. Les vivants sont tous animés d’un unique objectif : se maintenir dans l’existence. Projet voué à l’échec s’il s’agit d’une volonté individuelle, puisque la vie « n’est qu’un combat perpétuel pour l’existence, avec la certitude d’être vaincus », mais projet sensé s’il s’agit de mettre son instinct sexuel au service de la perpétuation de l’espèce à laquelle on appartient. « L’individu n’est qu’apparence », il est la marionnette de la Volonté universelle qui ne s’intéresse qu’à l’espèce.

En s’imaginant viser des buts particuliers, les individus sont en quelque sorte le jouet d’une force qui les dépasse. S’ils n’étaient instrumentalisés de la sorte, s’ils étaient pleinement conscients de ne représenter qu’un souffle dans l’océan du temps, ils sombreraient dans le désespoir et renonceraient à la procréation. De surcroît, les individus sont utilisés par cette énergie éternelle pour maintenir la plus stable possible l’espèce à laquelle ils appartiennent. Dans un développement extrait du Monde comme volonté et comme représentation, intitulé « Métaphysique de l’amour », Schopenhauer explique pourquoi « les hommes de petite taille, par exemple, recherchent les femmes grandes, les blonds aiment les brunes, etc. ». Chacun d’eux imagine qu’il construit librement son idéal féminin, alors que c’est la Volonté universelle qui oriente leurs désirs. Écrire de pareils développements en pleine période romantique suppose une force de caractère peu commune.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

Classification