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INDE (Arts et culture) L'expansion de l'art indien

L'indianisation : théorie ou fait ?

Un peu comme Le Verrier « inventant » Neptune sans la voir, mais comme seule explication possible des mouvement aberrants d'Uranus, nous restituons le processus de l'indianisation en constatant, après coup, ses effets, et donc la probabilité de son existence. Certes, quelques objets indiens des ier et iie siècles de notre ère : amulettes, bijoux, intailles et sceaux, une tête de bronze gandharienne (Phnom Bathê, Sud-Vietnam), ont été découverts en Indochine méridionale, en Birmanie, en Malaisie (Kuala Selising) et à Java. Corroborant le commerce avec la Méditerranée, ils sont d'ailleurs associés à des verreries, à des perles et à des poteries sigillées romaines, et à divers objets hellénistiques (la date, plus haute, de ces derniers n'implique pas leur date d'utilisation : celle-ci est sans doute plus basse, car il s'agit de « trésors » passés de main en main).

Ce n'est, d'abord, que grâce aux historiens chinois que nous découvrons l'histoire de ces États indianisés, vers la fin du iie siècle. Puis apparaissent des inscriptions en sanskrit : à Vo-canh (près de Nha-trang), de la fin du iiie siècle ; à Kutai (delta de la Mahakam, Bornéo), des environs de 400, et de la même date sans doute en Malaisie (près de Penang et à Bukit Meriam, Kedah) comme en Birmanie ; enfin, à Java, près de l'actuelle Djakarta, de la seconde moitié du ve siècle. Or, deux de ces textes font état de trois générations de personnages installés là, ce qui recoupe la théorie d'une implantation solide dès le iiie siècle au moins.

C'est évidemment un signe irrécusable que l'utilisation d'une langue aussi élaborée. Elle implique que les États qui se constituaient avaient adopté la pensée qu'elle exprime : cosmologie et ordre social théorique, hindouisme et bouddhisme, codes, et même partie de la littérature puranique qui raconte la vie des dieux. En Chine, où le bouddhisme progresse à la même époque, les textes canoniques furent traduits en chinois, car cette langue était déjà hautement élaborée, et surtout écrite, et qu'elle seule pouvait aider la foi nouvelle à se répandre. Pour atteindre le monde antique, l'Évangile dut être traduit en grec. En revanche, pour l'enseigner aux Barbares, plus tard, on utilisa directement le latin. Or en Asie du Sud-Est, il n'y eut pas, semble-t-il, au début, de traduction dans les langues vernaculaires : hindouisme et bouddhisme furent enseignés directement en sanskrit, ou en pāli. Ainsi, non seulement ces religions se répandaient, mais encore les langues indiennes devenaient-elles les matrices mêmes de la pensée. Le sanskrit y restera la lingua franca douze siècles durant ; le pāli y est toujours pratiqué.

Lors d'une seconde phase, qui correspond peut-être à une seconde vague d'indianisation que l'on suppose vers le ve siècle, des œuvres d'art apparaissent. En Inde, l'art est, d'abord, l'univers des formes mis au service des théologies ou, en d'autres mots, aux yeux du peuple, l'écriture plastique de la foi. Les Indiens transportèrent donc nécessairement leur art, qui n'est qu'un des modes du culte, et l'enseignèrent également à leurs adeptes. Une poignée seulement de ces modèles a survécu : c'étaient des statues en bronze. L'architecture était alors en bois et a péri. L'archéologie n'a guère encore prospecté – ni même partout identifié – les premiers comptoirs. Ainsi trouvons-nous, groupés aux ive et ve siècles, et appartenant à l'école d' Amarāvatī, le fameux Bouddha de Sikendeng (Sulawesi) et celui de Dong-duong (Champa : actuel Centre-Vietnam) et des pièces plus petites à Śrī Kṣetra (Birmanie), associées à des vestiges de stūpa en brique. À vrai dire, nous ne saurions affirmer s'il[...]

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Shiva à dix bras, Vietnam - crédits : Archives CDA/ St-Genès/ AKG-images

Shiva à dix bras, Vietnam

Tête du Buddha, art Khmer, époque préangkorienne - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Tête du Buddha, art Khmer, époque préangkorienne

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Tête de Brahma

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