INDE (Arts et culture) L'expansion de l'art indien
Formes, ou substance ?
Jusqu'à nos jours, la Birmanie, la Thaïlande, le Laos, le Cambodge (depuis le xive s. au moins) restent des pays bouddhistes. Sous le glacis, transparent parfois, Java se retrouve hindouiste, et Bali l'est très ouvertement. Dans tous ces pays, la cosmogonie, la métempsycose, l'ordre moral, les sciences traditionnelles et notamment le calendrier, le rituel royal, l'art sont indiens d'origine. Dans toutes leurs langues, presque tous les termes utilisés pour ces concepts et ces fonctions sont d'origine sanskrite (ou pālie). Aujourd'hui, les néologismes requis sont forgés à partir de ces bases. Le canon du bouddhisme des Thera a certes été traduit (assez récemment parfois) en birman, en môn, en thaï ou en khmer. Mais les textes de référence, comme le culte, sont le plus souvent en pāli. Partout, l'art religieux maintient les canons plastiques et l'iconographie indienne, jusqu'aux jouets et aux images populaires. L'épopée universellement récitée, ou jouée sur un théâtre, est le Rāmāyaṇa.
Tout ne remonte d'ailleurs pas au seul influx des cinq ou six premiers siècles de notre ère. Nous ne savons guère si le commerce indien s'est poursuivi au-delà de cette période : les navires arabes et persans, puis chinois l'ont remplacé à partir du ixe siècle, pour l'essentiel. Les relations diplomatiques semblent s'estomper également après le vie siècle. Encore reverrons-nous, au début du xie siècle, les rois Cola de Tanjore envoyer leurs flottes piller, et un instant dominer les côtes malaises. De plus un flux constant de maîtres spirituels, très explicitement nommés par des inscriptions, est allé, au moins jusqu'au xive siècle, raviver et enrichir la tradition, au Cambodge par exemple. Les bouddhistes, venus notamment d'Indonésie, sont allés en pèlerinage en Inde, ou se former à la grande université de Nālandā. Ils édifièrent même des temples sur les lieux saints, comme Bodh Gaya. Lorsque, en 1190, les musulmans détruisirent Nālandā, ses maîtres spirituels s'enfuirent. Quelques-uns ont très probablement gagné le Cambodge et converti Jayavarman VII, et ainsi inspiré l'extraordinaire style du Bayon, dernier éclat de l'art khmer. Et Ceylan, Rome du bouddhisme des Thera, restera le but permanent des pèlerinages et la source des missions dans la diaspora. À la limite, on pourrait démontrer que l'islam lui-même n'a pu gagner Sumatra, puis l'Indonésie, que parce qu'il a converti des Indiens et a retrouvé ces routes ancestrales. Il ne s'agit donc, au bout du compte, ni d'une vague éphémère, ni d'une leçon oubliée, mais bien d'une constante.
L'art indien apparaît, avec l'art grec, comme la source du plus grand mouvement plastique connu. L'art chinois, qui ne le cède évidemment en rien ni à l'un ni à l'autre, s'il a bien modelé la Corée et le Japon, n'a, malgré son extraordinaire vitalité et sa richesse, guère dépassé l'orbe politique de l'Empire céleste (immense, il est vrai). Une telle fécondité doit être soulignée. L'Inde fut le berceau de deux religions universelles, sans autre parallèle que le christianisme et l'islam. Mais alors que ceux-ci, dans leurs arts respectifs, reprirent en somme les traditions des pays soumis au départ, l'Inde a également enseigné son esthétique.
L'étendue dans l'espace et le temps de ce phénomène unique est-elle clairement perçue ? Comparons avec l'Empire romain : des colonnes d'Hercule à Palmyre, celui-ci survolait quelque quatre mille trois cents kilomètres et s'étendait sur environ deux millions de kilomètres carrés. Du delta du Gange à Bornéo, on compte quatre mille trois cents kilomètres... Les pays d'Asie du Sud-Est indianisés recouvrent deux millions cinq cent mille kilomètres carrés et comptent[...]
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Écrit par
- Bernard Philippe GROSLIER : directeur de recherche au C.N.R.S.
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- 5 429 mots
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