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INDE (Arts et culture) Les doctrines philosophiques et religieuses

Les philosophies du langage et de la poétique

La conception védique de l'importance de la parole (vāc) comme agent cosmique de création et d'action a de bonne heure incité à l'étude non seulement de la grammaire qui la règle, mais encore des grands problèmes philosophiques que soulèvent son existence, la disposition qu'en a l'homme et surtout le fait qu'étant un son, elle est capable d'évoquer des pensées et des sentiments.

La grammaire sanskrite, dont l'auteur ancien le plus fameux est Pānini (ve s. av. J.-C. ?), a été l'objet de développements considérables à partir du « Grand Commentaire » (Mahābhāṣẏa) qu'en a fait Patañjali, le plus vraisemblablement au ier siècle av. J.-C. Patañjali a particulièrement discuté le problème de savoir ce qui est effectivement exprimé par les mots (śabda). Une des réponses qu'il discute sans l'adopter totalement est que les mots expriment l'ākṛti, ce qui est le même dans des choses différentes, leur est commun, mais en même temps est distinct d'elles car persistant quand elles disparaissent individuellement. L'ākṛti est donc le « type » idéal qui, dans la pensée humaine, correspond à l'espèce (jāti) formée par l'ensemble des êtres ou des choses des substances concrètes (dravya) qui ont des caractéristiques communes. Au mot énoncé, produit occasionnel de la phonation, et aux individus à durée limitée qui forment une espèce, répond donc dans le langage une contrepartie qui échappe au temps et à la matérialité, qui est permanente (nitya). Le Mahābhāṣya prélude aussi à une spéculation ultérieure très active sur le mécanisme de communication verbale. La résonance du mot, ou dhvani, percute l'organe auditif lequel rapporte à l'esprit, organe centralisateur, ses réactions et dans lequel se produit à la réception de la résonance du mot un « éclatement », ou sphoṭa, qui fait paraître le sens du mot.

La spéculation sur la parole a été illustrée au ve siècle apr. J.-C. par Bhartṛhari dans son Vākyapadīya, qui traite de la Parole comme entité suprême de la phrase (vākya) et du mot (pada). La Parole, entité cosmique, est le Śabdabrahman, aspect sonore du Brahman-Être suprême. Elle est représentée par le texte du Veda et par la syllabe om, son fondamental permanent, qui se manifeste dans la nature par le mugissement sempiternel de la mer ou de la conque vide. Le Śabdabrahman est unique mais apparaît diversifié par des énergies (śakti), comme c'est le cas ailleurs de Śiva ou de Viṣṇu. Il est aussi pensée et non pas seulement bruit et le primat appartient à la pensée. L'ākṛti ; type mental de l'espèce concrète, prime donc celle-ci dans la réalité foncière. Mais l'homme n'a accès directement qu'à ce qui lui est intérieur, à son monde subjectif formé des significations qui répondent aux mots et aux phrases, c'est-à-dire de la contrepartie psychique du langage. Il n'a qu'accès indirect au monde extérieur (laukika), par les données sensorielles et la raison qui s'exerce sur celles-ci. Il devra donc en logique s'en rapporter au témoignage de l'enseignement védique plutôt qu'à l'observation et l'inférence. Il fera son salut par la connaissance du Śabdabrahman, ultime réalité éternelle.

La poétique, de son côté, en de nombreux traités, a étudié le problème de la production des sentiments esthétiques en même temps qu'elle s'est occupée à recenser, classer et régler les moyens de l'expression. En dehors d'ouvrages surtout techniques, comme ceux de Bharata et Daṇḍin, des auteurs comme Brāmaha (viie s.) dans son Kāvyālaṃḳāra et plusieurs auteurs kaçmîriens, dominés par la grande œuvre d'Abhinavagupta (xie s.), ont traité ce problème.

La doctrine classique[...]

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  • : membre de l'Institut, professeur honoraire au Collège de France

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