INDE (Arts et culture) Les sciences
Médecine ou science de la vie
Parmi les trois sciences qui furent les plus développées dans l'Inde, astronomie, mathématiques et médecine, cette dernière est celle qui répond le mieux au modèle brahmanique traditionnel des sciences. Les sciences brahmaniques sont normatives, elles fixent des règles de vie sur le chemin de la sagesse, elles enseignent ce qu'il convient de faire pour atteindre « les quatre buts de l'existence humaine » (puruṣārtha), le plaisir, la prospérité, la vertu et la délivrance. Or, dira le médecin, la santé non seulement participe de la nature des deux premiers buts de l'homme, le plaisir et la prospérité, mais elle est aussi la condition nécessaire des deux autres buts, la vertu et la délivrance. L'Āyurveda, la « science » (veda) visant à protéger et prolonger la « longévité » (āyus), est une biologie au service de l'homme, une science subordonnée aux impératifs de la sagesse.
Les maîtres de l'Āyurveda ressemblent aux premiers savants de la Grèce ancienne qui se nommaient des physiologues. Les ayurvédiques partagent avec les physiologues grecs plusieurs traits caractéristiques : ce sont des observateurs de la nature, ils sont en quête d'une sagesse, et leur système du monde est vitaliste. Une force vitale, pensent-ils, anime chacun des règnes de la nature, elle sourd du sol sous la forme de sucs, de sèves, d'humeurs, de fluides nourriciers ; cette idée fondamentale, développée en Inde et en Grèce, a donné naissance à la théorie des humeurs.
La théorie des humeurs
Comme la médecine d'Hippocrate, la médecine ayurvédique de l'Inde est humorale ; les maladies et le tempérament du patient résultent de l'altération ou de l'équilibre de certains fluides vitaux comme la bile et le flegme. Les historiens (en particulier J. Filliozat) ont mis en évidence de nombreuses similitudes entre les théories grecques et indiennes concernant les humeurs et le pneuma ( souffle ou vent circulant comme un fluide dans l'organisme). Ces idées se sont largement diffusées dans le monde antique, tant au Moyen-Orient qu'en Asie du Sud-Est, au cours d'échanges très anciens et peut-être antérieurs aux conquêtes d'Alexandre (iiie s. av. J.-C.). D'un côté l'Égypte et la Perse, et de l'autre le Tibet et la péninsule malaise ont joué le rôle de carrefours de civilisation. Mais, tandis que les historiens des sciences et les philologues, hellénistes et sanskritistes, étudient les traditions savantes dans les textes d'Hippocrate, de Suśruta, de Caraka et de Galien, les ethnologues et les linguistes spécialisés en ethnoscience (l'étude des taxinomies populaires) ont effectué de nombreuses enquêtes locales, et ils ont décrit des versions populaires ou vernaculaires de la théorie des humeurs, fondées sur une dichotomie entre nourritures froides et nourritures chaudes, sur une polarité du froid et du chaud. Bien qu'elle soit tout à fait obsolète, si on la juge selon des critères purement scientifiques, la théorie des humeurs est une question d'actualité pour les ethnologues. D'une part, en effet, elle fournit des repères et des éléments d'explication à ceux qui cherchent à comprendre la vogue des « médecines douces » en Occident et les résistances de la société contemporaine à la médecine scientifique. D'autre part, cette question suscite un débat entre les historiens et les ethnologues. Les théories savantes ont-elles systématisé des croyances populaires ? Ou bien, à l'inverse, les versions locales de la théorie des humeurs, dans les langues vernaculaires, résultent-elles d'une diffusion, d'une vulgarisation des doctrines savantes ? Les historiens et les ethnologues qui étudient actuellement la médecine ayurvédique veulent élucider les processus de traduction des idées scientifiques d'une langue dans une autre, et en particulier les rapports entre la langue savante (le sanskrit)[...]
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Écrit par
- Francis ZIMMERMANN : agrégé de philosophie, docteur ès lettres, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (anthropologie et histoire des sciences dans le monde indien)
Classification
Médias
Autres références
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INDE (Arts et culture) - Les mathématiques
- Écrit par Agathe KELLER
- 5 429 mots
- 3 médias
On traitera ici des pratiques et pensées mathématiques qui ont eu cours dans le sous-continent indien – en « Asie du Sud », comme on dit communément dans les pays anglo-saxons –, puisque l’aire géographique concernée couvre tout autant l’Inde que le Pakistan, le Bangladesh, le Bhoutan et l’île de Ceylan...