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INDEPENDANCE (R. Ford)

Richard Ford - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Richard Ford

Né en 1944 à Jackson (Mississippi), Richard Ford n'est pas « sudiste » de souche ; sa famille venait de l'Illinois ; son père était voyageur de commerce et Jackson se trouvait sur le trajet de sa tournée. Ce père itinérant, ce père « presque jamais là », est mort lorsque le jeune Richard n'avait que seize ans. « Il n'a pas vraiment eu le temps de me transmettre grand-chose. » Richard Ford, pour sa part, n'a pas d'enfants. Publié en 1996, Indépendance (traduit par Suzanne Mayoux, éditions de l'Olivier) est l'émouvant roman d'un père fuyant mais qui, maladroitement, essaie quand même de transmettre quelque chose à son fils adolescent.

La plupart des gens, a écrit Thoreau, mènent des vies de « quiète désespérance ». Il y a sept ans, lors de son divorce, Frank Bascombe a connu une période de « turbulences », évoquée dans un précédent roman, Un Week-End dans le Michigan. Aujourd'hui, il a quarante-quatre ans. Au mieux, le milieu du chemin de la vie. La vie qui passe, qui a passé, avec une traînée de regrets : l'amour qu'on a bêtement laissé se défaire, les bonheurs évanouis sans qu'on y ait vraiment goûté. Naguère encore, chaque 4 juillet était le signal d'un « réveil » : l'été flamboyait. Plus rien de tel aujourd'hui. Frank a atteint un stade où plus rien ne le touche vraiment, un âge où, spasmodiquement, on voudrait encore s'arracher à l'ornière, « changer la vie », alors qu'il est trop tard. On ne saurait dater précisément la chose ; on ne s'est aperçu de rien, mais on se comporte comme si on était déjà mort. « Les diverses manières dont ta vie t'échappe, c'est ça, la vie. »

Lorsqu'on l'a rencontré dans Un week-end dans le Michigan, Frank Bascombe était journaliste sportif et habitait déjà Haddam, une banlieue, dans le New Jersey. Pas une banlieue sinistrée, mais une petite ville, un quartier ouvrier, en partie noir, plutôt coquet avec ses hortensias roses et bleus pour masquer les compteurs à gaz. La « banlieue », c'est aussi un peu le thème de ce nouveau livre : chacun y vit « indépendant », enfermé dans sa maison comme dans un bunker ; mais, en même temps, tout le monde s'épie, s'entre-surveille, et constitue ainsi une sorte de « communauté » qui contrebalance la solitude de l'« indépendance ».

Aujourd'hui, Frank Bascombe s'est reconverti dans l'immobilier. Richard Ford a souvent déménagé dans sa vie ; il a beaucoup visité, loué, acheté, revendu de maisons. Au fond, on n'achète pas seulement une maison : chaque fois, on espère changer de peau, troquer la défroque de sa vieille identité pour une autre, toute neuve. Dans chaque acheteur potentiel, il y a un Gatsby. L'agent immobilier sert d'entremetteur dans cette transaction qui est de l'ordre de l'imaginaire. Il sait aussi, d'expérience, qu'on n'acquiert jamais la maison de son rêve, mais seulement ce qu'il y a de disponible sur le marché pour le prix qu'on peut y mettre. Son rôle est d'amener en douceur le client à en rabattre de ses grandes espérances, à se résigner. Antihéros romanesque à la profession improbable, le Frank Bascombe de Richard Ford s'inscrit dans une mémorable lignée américaine : le Babbitt de Sinclair Lewis, Willie Loman, le « commis voyageur » d'Arthur Miller, et Harry Angstrom, dit « Rabbit », le concessionnaire Toyota de John Updike.

Après l'avoir quitté, sa femme Ann a épousé un architecte de cinquante-sept ans ; elle a emmené les deux enfants vivre avec eux dans l'opulent Connecticut. À l'occasion du 4 juillet, jour de l'Indépendance et fête nationale américaine, Frank, « père intérimaire », obtient le droit d'emmener, le temps d'un long week-end, son fils Paul pour un voyage en voiture.[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure

Classification

Média

Richard Ford - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

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