INDIANISME, politique
Le développement d'organisations ethniques à travers lesquelles les Indiens, en tant qu'acteurs, entendent diriger leur propre histoire, constitue un phénomène nouveau à partir des années soixante-dix en Amérique latine. Ces organisations de défense d'intérêts ethniques se distinguent des autres groupements politiques et syndicaux traditionnels quoiqu'elles intègrent certaines de leurs caractéristiques. S'appuyant sur des valeurs culturelles comme facteur de cohésion et d'identité, elles transforment peu à peu le panorama politique latino-américain. Ces nouveaux mouvements indiens, qui portent au premier plan les revendications d'autodétermination et d'autogestion, constituent une sorte de symbiose entre des formes d'organisation et de lutte traditionnelles et modernes. Cela dit, ces organisations, dont la grande majorité accorde le plus d'importance à la lutte sur le terrain autour de problèmes concrets et urgents, sont extrêmement diverses, et nous ne saurions les confondre sous peine de tomber dans des amalgames regrettables qui feraient disparaître la complexité croissante de ces mouvements. Certaines organisations indiennes se limitent à des demandes purement culturelles, d'autres, plus politiques mais relativement modérées, revendiquent l'autonomie régionale ou locale ; certaines préfèrent s'allier étroitement ou s'intégrer aux organisations existantes, d'autres constituent des émanations des pouvoirs en place ; enfin, une minorité plus radicale met l'accent sur la lutte idéologique avec idéalisation de l'Indien et de la civilisation indienne. L'indianisme, idéologie de l'indianité portée à l'extrême, est revendiqué par ces dernières, et ne saurait s'appliquer aux autres positions indiennes.
Sorte de nationalisme indien, l'indianisme est conçu par ses idéologues (les plus connus étant Fausto Reinaga en Bolivie et Guillermo Carnero Hoke au Pérou) comme une philosophie s'appuyant sur la vision du monde de l'Indien, selon laquelle civilisations indienne et occidentale seraient incompatibles. Il s'agit alors pour les Indiens de rejeter en bloc la civilisation occidentale comme fondamentalement mauvaise, la civilisation indienne étant idéalisée à l'extrême. Ainsi, si le point de concordance entre l'indianisme politique de certains mouvements indiens contemporains et l'indianisme littéraire du xixe siècle réside dans cette idéalisation de l'Indien, la différence se situe dans le fait que l'idéologie indianiste fournit une version moderne du mythe du bon sauvage élaborée non plus par les non-Indiens mais par les Indiens eux-mêmes.
Sur le plan politique, l'indianisme se traduit par l'intransigeance à l'égard des non-Indiens, le refus des alliances et une stratégie de lutte pour le « pouvoir indien » (qui rappelle celle du « pouvoir noir » aux États-Unis). Certaines organisations préconisent même la lutte de libération nationale. Cependant, à l'épreuve des faits, force est de constater que cette idéologie (qui se retrouve sous d'autres noms dans les mouvements de minorités ethniques du monde entier) ne séduit que de petits groupes, souvent intellectuels, qui se cantonnent dans les régions indiennes ayant eu un passé prestigieux (Bolivie, Pérou, Guatemala). Les indianistes des Andes, par exemple, prônent la reconstruction du Tawantinsuyu, ancien empire inca. Un tel objectif, indépendamment de son irréalisme qui ignore cinq siècles d'histoire, s'oppose aux objectifs des Amazoniens qui, eux, ont résisté à l'expansion incaïque...
L'indianisme n'est pas devenu le moteur de tous les mouvements indiens, comme le préconisaient ses idéologues. Il faut admettre que la grande majorité des indigènes, du Mexique au Chili, ne s'y reconnaissent pas.[...]
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Écrit par
- Marie-Chantal BARRE : chercheuse et consultante, titulaire d'un doctorat de troisième cycle en études des sociétés latino-américaines de l'Institut des hautes études d'Amérique latine, Paris
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