INDIGÉNISME, politique
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La prise de conscience de la présence indienne en Amérique latine s'effectua surtout avec la consolidation du libéralisme qui avait suscité les mouvements d'indépendance vis-à-vis de l'Espagne. En proclamant l'égalité juridique entre les Indiens et les Blancs, les nouvelles républiques se virent confrontées au problème de l'intégration de ces citoyens marginalisés et de seconde classe qu'étaient les Indiens. Le libéralisme appliqué en Amérique latine se traduira pour ces populations par le « colonialisme interne » : la législation coloniale disparaissait mais la « situation coloniale » persistait. Cette réalité sensibilisa peu à peu certains secteurs de la société non indienne, et c'est au sein de celle-ci que naquit le courant dit « indigéniste », dès la seconde moitié du xixe siècle. Idéologie fondamentalement non indienne, l'indigénisme donna naissance à ses débuts à une attitude humanitaire, voire romantique, qui se manifesta principalement dans la littérature. Mais, peu à peu, cette démarche allait acquérir une dimension de revendication et de protestation contre l'injustice qui frappait l'Indien. L'indigénisme commença alors à apparaître dans les sciences sociales ; il ne se limitait plus aux seules revendications ayant trait à l'éducation et à la constitution des premiers temps, mais évoluait vers des préoccupations plus politiques et plus sociales, notamment agraires. Ce courant n'eut pourtant pas le temps de devenir véritablement porteur de transformations, car il se révéla facilement récupérable par le pouvoir. Celui-ci se rendit compte en effet qu'au lieu d'être son ennemi, l'indigénisme pouvait parfaitement être un allié. Officialisé, étatisé, il devint alors idéologie officielle qui allait s'exprimer à travers un appareil propre à l'Amérique latine : la politique indigéniste.
La politique indigéniste recherche avant tout l'intégration des Indiens au système dominant et aux nouvelles nations nées des indépendances, suivant le modèle européen, notamment celui de la France issu de la Révolution française qui la proclamait « une et indivisible ». Appliqué à l'Amérique latine, ce principe allait se concrétiser par une politique centraliste, intégrationniste, visant à faire des Indiens non des peuples différenciés qui auraient pu apporter des éléments à une nouvelle idée de nation, mais de simples citoyens appelés à perdre petit à petit leurs caractères distinctifs. Les Indiens qui ne se plieraient pas complètement à ce processus devaient dans la réalité se trouver marginalisés par rapport à la société dominante, non seulement en tant que secteurs socialement défavorisés, mais aussi en tant que groupes ethniques.
L'intégration des Indiens recherchée par les différents États latino-américains s'appuya notamment sur l'idéologie du métissage, considérée comme devant résoudre tous les problèmes (et à laquelle il faut reconnaître un rôle dans la réfutation des théories racistes très répandues au début du xxe siècle), et sur le positivisme qui imprégna l'Amérique latine de l'idée de progrès (selon cette philosophie, l'Indien était un frein au progrès).
La politique indigéniste interaméricaine s'articule autour de deux dates importantes : 1940 et 1980. En 1940 se tint au Mexique le Ier congrès indigéniste interaméricain, qui devait orienter les politiques indigénistes de tout le continent. Pour la première fois, la question indienne était posée à l'échelle continentale. Peu après était fondé l'Institut indigéniste interaméricain siégeant à Mexico et les instituts indigénistes se multiplièrent dans toute l'Amérique latine. L'indigénisme traditionnel systématisé en 1940 suit, dans l'esprit de l'époque, des positions fondamentalement intégrationnistes. Cette intégration de l'Indien est conçue d'une manière pluridimensionnelle : socio-économique, culturelle, politique et nationale.
Enfin, l'indigénisme d'État répond aux grandes options des gouvernements, allant de la modernisation à la sécurité nationale. Les préoccupations indigénistes ne connaissent ni frontières politiques ni frontières idéologiques et se retrouvent à des degrés divers dans tous les gouvernements, de quelque tendance qu'ils soient.
1980, date du VIIIe congrès indigéniste interaméricain, constitue un tournant. Tenu à Mérida, toujours au Mexique, il procéda à une critique de « l'intégration non discriminatoire de la population indigène » poursuivie par l'indigénisme traditionnel. La remise en question de l'indigénisme suivi officiellement depuis 1940 répond tant aux nouvelles tendances de la théorie anthropologique qu'à l'émergence des mouvements indiens organisés dans un nombre croissant de pays. Ainsi, l'idée qui domine désormais le nouvel indigénisme est qu'il doit s'élaborer avec les Indiens et non plus pour eux. Le concept de « participation » devient fondamental. Ce nouvel esprit rencontre encore de nombreuses réticences, notamment dans les États les plus conservateurs dans ce domaine. Mais il a parcouru un chemin considérable au Mexique, en Équateur, au Nicaragua, qui se reconnaissent officiellement comme pluri-ethniques. Il s'agit là aussi d'une nouvelle stratégie du nationalisme latino-américain qui s'appuie dorénavant sur la diversité ethnique et non plus sur de vaines tentatives d'homogénéisation de groupes finalement non intégrables.
L'indigénisme d'État en Amérique latine est très lié à l'évolution de l'indigénisme mexicain. Il continuera d'évoluer, certes, passant de l'idée de la « participation » à celles de la « conception » et de l'« autodétermination ». Déjà, l'indigénisme mexicain a commencé à se tourner vers le concept d'ethnodéveloppement qui, à la différence de l'indigénisme de participation, implique une prise en main par les groupes ethniques eux-mêmes de leur propre développement, selon un processus qui s'oriente de plus en plus vers l'autonomie et l'autogestion.
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Écrit par
- Marie-Chantal BARRE : chercheuse et consultante, titulaire d'un doctorat de troisième cycle en études des sociétés latino-américaines de l'Institut des hautes études d'Amérique latine, Paris
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