INDIVIDU
La notion d'individualité ne se laisse définir ni par les procédés étymologiques habituels aux philosophes depuis que Platon en a établi la coutume dans le Cratyle, ni par une axiomatique rationnelle. Lorsqu'on s'y attache, c'est pour trouver des différences, lui opposer d'autres notions ; tout se passe comme si elle relevait de plusieurs champs sémantiques, sans qu'au premier abord il existe des liens entre les éléments de ce pluralisme. Ainsi parle-t-on d'individuation et d'individu en biologie ; pourtant, selon le Vocabulaire de Lalande, c'est à la personnalité et pour l'en distinguer qu'il faut la référer ; mais encore, l'individu est partie prenante de la société.
Il est plus clair, par suite, pour introduire cette notion, de constituer des couples conceptuels dans lesquels l'individualité tient la place d'un élément dans une opposition de type binaire. Dans le domaine biologique, l'individu s'oppose à la totalité et à l'unité comme la partie au tout ; dans le domaine psychologique, l'individu est l'autre face de l'universalité : il représente ce qui différencie au lieu que l'universalité rassemble et assimile, indifférencie ; enfin, dans le domaine social, l'individu s'oppose à la collectivité. L'unité, l'universel, le collectif : tels sont les tenants de l'opposition par où peut se définir l'individualité. Cette notion ne saurait donc exister seule : ce n'est pas là l'un de ses moindres paradoxes.
On se proposera ici de faire passer cette opposition par les champs sémantiques de la biologie et de la société tout ensemble ; ou plutôt, à la lumière de cette transition, dont le modèle sera fourni par l'analyse hégélienne, on verra se dessiner les liens d'abord manquants entre la biologie et la société : l'individu en est le pivot analogique, l'élément qui de l'un à l'autre domaine effectue la transposition. L'individu fait le lien entre la biologie et la sociologie. Mais, pour ce qui relève de la subjectivité, l'impasse théorique semble plus difficile à franchir : car différencier les sujets les uns des autres, autrement que par des procédés rhétoriques relevant de la littérature romanesque ou poétique, ne peut se faire que par une analyse de type leibnizien, c'est-à-dire par une combinatoire qui rende compte à la fois et de la multiplicité indéfinie des êtres et de leur similitude ; Leibniz, mais aussi Freud, y aideront, engendrant, à la place de l'individu et pour ce champ spécifique, la notion de sujet.
Individu biologique et individu social : de l'individualité à la mort
Le modèle hégélien s'impose par sa pertinence en ce qui concerne l'individualité ; la dialectique qui conduit la négativité de l'immédiat au savoir totalement médiatisé va du moins différencié au plus différencié : le savoir absolu contient toutes les différences. C'est dire que la dialectique hégélienne peut être considérée tout entière comme un procès d'individuation. Deux points se détachent dans cet ensemble : d'une part, cette partie de la dialectique qui porte explicitement le nom de dialectique de l'individualité et qui concerne la physique dite naturelle ; et, d'autre part, la dialectique de la famille d'où émerge, à travers l'individualité sociale, le statut de l'individu intégré dans son groupe.
La qualification de la matière
L'individualité prend place à l'intérieur de la dialectique de la nature qui est exposée dans le Précis de l'encyclopédie des sciences philosophiques. Ce Précis, plan d'ensemble de la progression hégélienne, se déroule selon les normes successives de la logique, de la nature et enfin de l'esprit. L'individualité se situe dans[...]
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Écrit par
- Catherine CLÉMENT : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de l'Université
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