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INDIVIDU & SOCIÉTÉ

Dès qu'on s'interroge sur les rapports qui peuvent lier individu et société, on est amené à penser ces relations en termes de cause et d'effet et à voir dans l'individu et dans la société deux objets en soi, deux réalités séparées. Or une telle séparation est impraticable, aussi bien au niveau du fait qu'au niveau du concept. Au niveau du fait, puisqu'il n'est pas d'individu humain dont l'individualité ne renverrait pas à la culture dans laquelle il s'inscrit et que, inversement, on voit mal ce que seraient les institutions sociales en dehors des individus qui les actualisent, qui les effectuent. Il en est de même au niveau du concept, puisqu'un tel réalisme mènerait la réflexion à des impasses, celle du sociologisme ou celle du psychologisme : soit qu'on parte de la société et qu'on échoue à retrouver l'individu sinon sous la forme d'un fantôme, reflet mécanique de la société et de ses institutions ; soit qu'on parte de l'individu et qu'on voie s'évanouir la réalité sociale, réduite à n'être que le milieu des comportements de l'individu, les significations procédant en dernière analyse de celui-ci. La difficulté du problème – son impossibilité peut-être – tient à ce qu'il s'agit de comprendre deux symbolismes (non pas deux réalités) qui sont à la fois inséparables et irréductibles l'une à l'autre.

On peut résumer la question des rapports entre l'individu et la société de la façon suivante : « Comment un homme est-il à la fois différent de tous les autres hommes, semblable à certains hommes et semblable à tous les hommes ? » Ce qui en fait la complexité est la façon dont se noueraient les déterminations biologiques et les déterminations culturelles dans la singularité d'une existence, quand bien même il serait possible de définir clairement la spécificité de chacun des ordres impliqués.

Inné et acquis

Acceptons que, chez un individu, ce qui relève du biologique soit inné, l'acquis relevant du culturel. Force est de constater que le biologique et le social ne fonctionnent jamais isolément. Comment, dès lors, distinguer opérationnellement la part de l'hérédité et celle du milieu humain ? Peut-on validement se tourner vers ces cas que nous offre la nature sous la forme des enfants-loups, dont le plus célèbre est Victor, « l' enfant sauvage de l'Aveyron » observé au début du xixe siècle par le docteur Itard ? De tels cas sont fortement contestables, car rien n'assure que l'enfant ait été abandonné avant tout contact avec le milieu culturel. D'autres procédures, mieux contrôlées et donc plus fiables, ont été construites en vue de mesurer les effets respectifs des facteurs héréditaires et du milieu sur la similarité ou la dissimilarité des performances des individus, les performances mesurées étant presque toujours des performances intellectuelles.

On peut classer ces recherches en trois catégories, selon qu'elles étudient l'effet de l'identité plus ou moins grande de l'hérédité avec identité de milieu (par exemple, les corrélations entre des personnes de même famille), l'effet de l'identité de milieu avec hérédité différente (par exemple, les corrélations entre enfants adoptés et parents adoptifs) ou l'effet de la différence de milieu avec hérédité identique (par exemple, les corrélations entre jumeaux vrais élevés séparément). Ces études des variations concomitantes permettent-elles que soit valablement isolé le facteur héréditaire ? On peut en douter, car le milieu familial est seul pris en compte et il est fait abstraction du milieu social général, où interviennent les amis, les maîtres, les livres, etc. Par ailleurs, ce milieu est défini de façon objectiviste, sans qu'interviennent jamais les différences de climat affectif dans une[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite, université de Paris-V-Sorbonne

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