INDIVIDU & SOCIÉTÉ
L'ordre symbolique
L'homme se différencierait de l'animal en ce qu'il n'a pas d'instinct au sens propre du mot, c'est-à-dire au sens de conduite achevée, déterminée dans son déclenchement, ses moyens, son but. L'animal est conditionné, par les lois naturelles de son espèce, à « désirer » tel type d'objet et à utiliser tel type de procédé de satisfaction pour tirer du monde extérieur ce qui est nécessaire à sa survie. Aucune éducation (au sens où l'homme est éduqué) n'intervient chez lui qui ait la charge de transmettre des modèles de conduite, aucune instance qui légifère sur ce qui, bien que désirable, doit être refusé.
L'homme, au contraire, vit dans le monde de l'institution. Son désir ne portera pas sur les objets de besoin tels que la nature les lui offre mais sur les objets que l'ordre symbolique, qui organise son monde, lui présente. Et les procédés mis au service de sa satisfaction ne seront pas des schèmes innés, transmis héréditairement, mais des modèles de comportement appris. Le désir de l'homme, avant que la loi ne l'organise, est « sans objet » – cette vacuité originelle étant au fondement de l'explication psychanalytique. L'homme est un animal qui échappe à la contrainte de l'instinct et, dans le vide qui en résulte, dans cette lacune biologique, la culture institue sa compensation. À la régulation organique se substitue la régulation sociale. Ainsi le désir de l'homme requiert-il que des objets lui soient désignés par un autre que lui, c'est-à-dire par le désir de l'Autre. C'est de l'Autre que viendra la loi qui organise les significations, qui dit ce qui est permis et ce qui ne l'est pas.
Cet Autre, qui donne au désir sa règle et sa régulation, s'incarne dans les personnages de la mère puis du père. On ne peut cependant pas l'assimiler à leur individualité ni à celle d'aucun autre. Le père et la mère, en effet, ne sont tels que par la place qu'ils occupent, que le système leur assigne, système qui constitue le champ humain comme champ d'échanges entre des sujets.
Cette structure, qu'il faut chercher à un niveau plus profond que celui des institutions sociales particulières puisqu'elle en est la condition de possibilité, est l'ordre du langage. Pris, dès sa naissance, dans les rets du langage, l'enfant devient sujet en assumant pour son propre compte ce dernier, en y inscrivant sa parole. Avant même de naître, il est marqué par la manière dont sa venue est attendue par l'entourage, et par la place qui lui est réservée à la croisée des projections de ses parents et dans les interférences de leur dynamique émotionnelle inconsciente. En quelque sorte, il se constitue comme le produit et le porte-parole de la dialectique familiale. Dans son corps et dans son être psychique, il tient le discours de l'histoire des parents. Mais il n'est pas le produit passif des échanges et du dialogue du père et de la mère. Recevant leurs demandes inconscientes à travers son propre imaginaire, il se soumettra ou non à celles-ci. Produit des messages qu'émettent ses parents, l'enfant n'en reste pas moins un produit original puisque ces messages n'agissent que par le sens que leur donnera son propre narcissisme. C'est de cet enchevêtrement du désir de l'enfant et de l'ordre familial que la psychanalyse cherche à rendre compte. Mais ce désir et cet ordre se nouent dans un objet symbolique particulier : un sujet psychologique, un individu qui parle, qui se désigne lui-même en première personne.
En montrant comment s'achève, à travers l' œdipe, l'entrée de l'infans dans ce monde symbolique où il est assigné comme sujet, la psychanalyse a révélé que l'individu est l'effet d'une structure sociale – cette[...]
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Écrit par
- André AKOUN : professeur émérite, université de Paris-V-Sorbonne
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