INDIVIDU & SOCIÉTÉ
Les médiations familiales
Montrer que le sujet se constitue dans sa relation à la Loi ne suffit pas à rendre compte du rapport qui s'établit entre la personnalité des individus dans une société donnée et la culture qui la distingue. Quels processus aboutissent, en effet, à « faire du petit Manu un Manu et du petit Arapesh un Arapesh » ? – comme se le demande Margaret Mead. L'apport irrécusable de la psychanalyse est à cet égard d'avoir attiré l'attention sur le milieu familial comme lieu où, dans le commerce premier qu'il entretient avec les objets et les autruis qui l'entourent, l'enfant intériorise les modèles et les normes de ce qui progressivement devient « sa » société.
Les sociologues marxistes ont parfaitement vu qu'un système social se donne les individus qui doivent assurer son fonctionnement au moyen de l'idéologie, définie comme le système de significations collectives qui constitue les agents sociaux dans leur être, gouverne leur conduite, organise leur imaginaire. Mais ils ont peu étudié la famille comme appareil idéologique fondamental. Or c'est bien dans la famille et sous sa législation que l'individu intériorise les structures d'autorité de sa société et organise ses sublimations. L'institution familiale agit donc en déléguée de la société globale. Mais il serait faux de ne voir en elle que le cadre au sein duquel s'opérerait la médiation passive et transparente entre l'ordre social et l'individu. La famille possède en propre son autonomie, sa consistance, sa temporalité et sa mythologie. Dans l'espace qu'elle contrôle, elle unit diverses déterminations culturelles, qui, ainsi incarnées et mises en scène, sont offertes aux processus de l'identification.
Il existe cependant deux façons d'envisager les fonctions de la famille. On peut, à la suite de Kardiner, de Linton et dans la perspective ouverte par l'école américaine d' anthropologie culturelle, ne voir dans la famille que le lieu d'un apprentissage qui permet à l'enfant d'acquérir le système d'attitudes et de comportements nécessaire à son intégration sociale. L'action de la famille se donne alors tout entière dans ce que l'observation ethnologique peut en enregistrer objectivement. Mais on peut aussi considérer que les données de l'expérience ne peuvent recevoir de signification qu'à condition d'être rapportées à ce qu'on doit regarder comme la matrice de toute culture, bien que n'étant pas donnée.
C'est ainsi que Linton, analysant le système marquisien, souligne que les mécanismes de la filiation font du premier-né – quel que soit son sexe – le chef de famille, et conclut que, dans une société où l'enfant peut, dès sa naissance, prendre le pas sur le père, celui-ci ne saurait occuper la position d'un rival menaçant. À quoi Roheim objectait avec finesse, dans Psychanalyse et anthropologie : « J'aimerais bien savoir comment le nouveau-né sait qu'il a le pas sur son père ? et est-ce que cela donne à un enfant de trois ans la force d'un adulte ? Si l'on croit que le complexe d'Œdipe vient de l'autorité exercée par le père, alors on peut dire que, dans une société de ce genre, il ne saurait y avoir de complexe d'Œdipe. Nous pensons, quant à nous, que les sentiments de culpabilité résultant du complexe d'Œdipe (autrement dit du surmoi) sont si forts que le père quitte le champ de bataille avant même que la bataille se soit engagée et qu'il se punit de son désir de tuer son fils en se rabaissant de cette manière. »
Étudiant les populations des îles Trobriand, Malinowski a mis en œuvre le même type d'analyse et « découvert » l'absence d'Œdipe avec, comme conséquence, l'absence de perversions, de névroses et de psychoses. Dans[...]
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Écrit par
- André AKOUN : professeur émérite, université de Paris-V-Sorbonne
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