INDIVIDUALISME MÉTHODOLOGIQUE
L'expression individualisme méthodologique désigne, dans les sciences sociales, la démarche explicative selon laquelle rendre compte d'un phénomène collectif (macroscopique) consiste à l'analyser comme la résultante d'un ensemble d'actions, de croyances ou d'attitudes individuelles (microscopiques). Elle a été d'abord appliquée à la façon dont les faits économiques ont été pensés, entre 1870 et 1914, par les économistes néo-classiques. En sociologie, l'individualisme méthodologique reste une démarche controversée, singulièrement en France où une autre orientation conceptuelle, le holisme – du grec holos, « entier » – lui a été opposée.
Sources et principes
Il revient à l'économiste autrichien Joseph A. Schumpeter d'avoir nettement distingué, dans l'Histoire de l'analyse économique (1954), deux types d'individualisme : « sociologique » et « méthodologique ». Le premier, largement accepté aux xviie et xviiie siècles, pose que les phénomènes sociaux se résolvent en décisions ou en actions d'individus et qu'il est impossible de les analyser en termes de facteurs supra-individuels. « Cette opinion est insoutenable dans la mesure où elle implique une théorie du processus social », mais, ajoute Schumpeter, « cela ne signifie pas que, pour des fins particulières d'un ensemble déterminé de recherches, on ne doive jamais partir du comportement donné d'individus sans examiner les facteurs qui ont formé ce comportement. [...] Dans ce cas nous parlons d'individualisme méthodologique ». Ce second type d'individualisme a été mis en œuvre par les théoriciens autrichiens de la « révolution marginaliste », et par Schumpeter lui-même dans sa théorie de l'innovation où le rôle de l'entrepreneur apparaît décisif.
Dans une lettre adressée à l'économiste Robert Liefmann en 1920, Max Weber précisait que la « sociologie, elle aussi, ne peut procéder que d'un, de quelques ou de nombreux individus séparés. C'est pourquoi elle se doit d'adopter des méthodes strictement individualistes ». Principal représentant en France de ce courant de pensée, Raymond Boudon a conceptualisé et systématisé la démarche ainsi préconisée. Au fil d'une série d'ouvrages – La Logique du social (1979), Dictionnaire critique de la sociologie (en coll. avec François Bourricaud, 1982), notamment –, il a montré que, pour expliquer un phénomène social, il est indispensable de reconstruire les motivations des individus concernés et d'appréhender le phénomène en question comme le résultat de l'agrégation des comportements individuels dictés par ces motivations. Ainsi, l'explication est dite individualiste « lorsque l'on fait du phénomène social P la conséquence des actions des individus appartenant au système dans lequel P est observé ».
Cette méthode n'implique nullement une représentation atomiste des sociétés ; elle prend les individus comme insérés dans un système social, ensemble de contraintes au sein duquel leurs actions se déroulent. Centrée sur une schématisation des opérations d'un Homo sociologicus peu différent de l'Homo œconomicus aux visées exprimées en termes de rationalité, d'optimisation, d'adaptation, elle se tient à l'écart de toute approche psychologisante des faits sociaux. Elle est surtout en complète rupture avec le « réalisme totalitaire », naguère critiqué par Jean Piaget, qui traite les structures comme des éléments actifs et réduit l'action aux effets d'un conditionnement, sans égard aux intentions des individus seulement traversées par des forces collectives.
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Écrit par
- Bernard VALADE
: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique
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