Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

INDIVIDUALISME MÉTHODOLOGIQUE

Apports et limites

Au moyen d'exemples empruntés à l'étude des cas les plus divers (le changement social, les conflits, la mobilisation collective...), Raymond Boudon a administré la preuve qu'un effet macroscopique n'est intelligible que si on le ramène à la rationalité d'actions individuelles engagées en fonction, d'une part, des ressources cognitives des individus, d'autre part, des champs d'action créés par les structures institutionnelles. Ainsi de la stagnation de l'agriculture française au xviiie siècle que l'on dit causée par la puissance de l'État dispensateur de charges officielles. Dans L'Ancien Régime et la Révolution (1856), Alexis de Tocqueville a expliqué cette situation par un ensemble de décisions individuelles qui ont conduit une élite éclairée de nobles et de riches roturiers à déserter les campagnes qui furent ainsi privées de leurs lumières. La mise en relation directe de phénomènes macrosociaux est donc insuffisante : il est nécessaire de faire intervenir la médiation d'actions individuelles. La situation des gens de lettres et le déclenchement de la Révolution fournissent, dans le même ouvrage, un autre exemple d'analyse microscopique prenant en compte les comportements individuels situés dans un contexte social bien défini.

L'analyse tocquevillienne affaiblit sensiblement la relation fréquemment établie entre, d'un côté « société des individus » et méthodologie individualiste, de l'autre « sociétés traditionnelles » et holisme méthodologique. Ce dernier a été codifié par Louis Dumont dans l'introduction à ses Essais sur l'individualisme (1983), où deux sortes de sociologie sont distinguées : l'une qui part des individus « pour les voir ensuite en société », l'autre qui pose « comme irréductible le fait global de la société ». L'opposition individualisme/holisme a été examinée par Boudon (« Individualisme ou holisme : un débat méthodologique fondamental », in Henri Mendras et Michel Verret dir., Les Champs de la sociologie française, 1988). Il a été rappelé que l'individualisme méthodologique est délié de l'individualisme doctrinal. Il n'empêche que le paradigme individualiste, généralement admis en économie, reste d'application plus difficile en sociologie.

Les raisons de cette disparité sont diverses. Une conception hypersocialisée de l'individu prévaut dans la tradition sociologique française. La recherche de régularités générales, de lois macrosociales et d'interprétations globalisantes a primé l'analyse des processus, la mise au jour de composantes microscopiques et l'élaboration de modèles formels. Boudon a cependant reconnu qu'il n'est pas toujours possible, faute d'informations suffisantes, de retrouver la logique des micro-comportements à laquelle un phénomène agrégé est susceptible d'être imputé. Par ailleurs, le holisme méthodologique possède sa validité propre : nombreux sont les cas où un phénomène macrosocial ne peut être réduit à des causes individuelles ; il existe ainsi des ensembles culturels, comme ceux décrits par Ruth Benedict dans ses Échantillons de civilisation (1934), sur lesquels l'approfondissement proposé par l'individualisme méthodologique n'a pas prise.

On dépassera ce débat en considérant que toute société présente à la fois des caractères holistes et des caractères individualistes. Si l'on a pu observer avec Louis Dumont (1966), à propos de la société indienne structurée par le principe de l'Homo hierarchicus, que des processus s'y font jour en tout point comparables à ceux que les sociologues ont mis en évidence dans les sociétés où règne l'Homo æqualis, ces dernières présentent aussi des traits structuraux qui permettent de[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

Classification

Autres références

  • ACTION RATIONNELLE

    • Écrit par
    • 2 646 mots
    • 1 média
    ...que Coleman publie en 1990. De cet ouvrage majeur, il est possible de retenir quelques grandes lignes de force. La première s'inspire explicitement de l'individualisme méthodologique. Les phénomènes sociaux, quels qu'ils soient, doivent être compris comme la résultante d'actions individuelles. Coleman...
  • BOUDON RAYMOND (1934-2013)

    • Écrit par
    • 792 mots

    Né à Paris en 1934, normalien agrégé de philosophie en 1958, nommé professeur de sociologie à la Sorbonne (Paris-IV) en 1967, membre de l'Institut en 1990, Raymond Boudon a aussi enseigné régulièrement à l'université de Genève et connu une riche carrière internationale, enseignant notamment à Harvard,...

  • LE CALCUL DU CONSENTEMENT, FONDATIONS LOGIQUES DE LA DÉMOCRATIE CONSTITUTIONNELLE, James Buchanan et Gordon Tullock - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 024 mots
    ...d'individus rationnels confrontés à un choix constitutionnel ». La première partie de l'ouvrage expose les deux piliers méthodologiques de l'analyse : l'individualisme méthodologique, d'une part, l'extension de la théorie économique de l'action au comportement politique, d'autre part. Qu'il agisse...
  • ÉCONOMIE SOCIOLOGIE DE L'

    • Écrit par
    • 4 595 mots
    • 1 média
    ...conception a pour but de corriger – plus que de dépasser – la vision individualiste et atomistique par la prise en compte du maillage des relations interpersonnelles. Ainsi, les analyses en termes de réseau enrichissent l'individualisme méthodologique sans le remettre fondamentalement en cause.
  • Afficher les 15 références