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INDO-EUROPÉEN

Saussure et la théorie laryngaliste

Pendant que certains chercheurs travaillaient à élargir la base des comparaisons en incluant d'autres langues ou groupes de langues dans leurs recherches, quelques savants essayaient de coordonner les résultats obtenus et de procéder à la reconstruction de l'indo-européen lui-même. Dans ce but, ils disposaient des deux méthodes mentionnées plus haut : soit la reconstruction interne qui ne repose que sur les caractères structuraux de l'indo-européen, soit la reconstruction externe qui, à ce niveau, met en cause d'autres protolangues dont les plus utilisées furent le protosémitique et le protofinno-ougrien.

Le savant suisse Ferdinand de Saussure (1857-1913), formé partiellement en Allemagne chez les maîtres du comparatisme, longtemps professeur à Paris, devait donner une impulsion très vigoureuse aux procédés de reconstruction interne tout en donnant au structuralisme un magistral élan. Dans un ouvrage écrit en 1878 et publié l'année suivante sous le titre Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes, Saussure démontrait que les voyelles longues qui n'entraient pas dans le jeu normal des alternances vocaliques tel qu'il sera exposé plus loin provenaient en réalité de la combinaison de la voyelle a1 (pour nous e) ou de la voyelle a2 (pour nous o) avec des phonèmes amuïs appelés « coefficients sonantiques ». Ces derniers éléments portaient ce nom parce qu'ils jouaient le même rôle et avaient la même distribution que les sonantes indo-européennes. En effet, ils pouvaient figurer, comme n'importe quelle consonne, à l'initiale ou à la finale de syllabe, mais ils étaient aussi, à l'instar des voyelles, susceptibles de former le centre d'une syllabe. Ainsi, une racine *dhē-, « établir », n'entrant pas dans le jeu normal des alternances, pouvait par confrontation avec une racine *bher-, « porter », être ramenée à une forme plus ancienne *dhe + coefficient sonantique. Cette théorie, dont on verra les développements modernes, offrait au point de vue de la reconstruction de la protolangue plusieurs avantages, dont celui de ramener à un modèle unique et obéissant aux alternances régulières un certain nombre de racines qui semblaient y échapper. Les thèses de Saussure permettaient, en outre, de remonter plus haut dans le temps et d'expliquer d'une manière simple et élégante la diversité des formes reconstruites.

Malgré cela, il fallut le déchiffrement du hittite et les interprétations linguistiques qu'il suscita pour que la théorie de Saussure soit réellement admise par un grand nombre d'indo-européanistes. Le retard des hommes de science à accepter ces thèses est aisément compréhensible. En effet, il restait possible d'expliquer la protolangue sans recourir nécessairement à ces reconstructions structuralistes : la différence essentielle entre les partisans de ces théories et leurs adversaires était qu'ils se situaient à des périodes successives de l'indo-européen.

Toutefois, certains auteurs, tels que le Danois Hermann Møller, préoccupés de trouver une origine commune aux langues indo-européennes et chamito-sémitiques, avaient entrepris d'utiliser les « coefficients sonantiques » saussuriens. Dans deux dictionnaires comparatifs indo-européens et sémitiques, parus respectivement en 1909 et en 1911, Møller faisait largement usage des théories de Saussure ; c'est ainsi que la racine *ag-, « conduire », est reconstruite en un proto-indo-européen-sémitique *Ḥ-g-, de même que *dhē-, « établir », remonterait à *-Ṭ-Á-, ces prototypes étant inspirés des formes simples telles que *bher-, « porter », provenant de *P̣-r-. L'analogie des langues sémitiques, où certains phonèmes avaient approximativement les mêmes effets que ceux que postulait[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie et lettres, professeur ordinaire à l'université de Louvain

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