- 1. La paléontologie linguistique
- 2. De l'Inde à la mer Noire
- 3. Les Indo-Germains
- 4. La mythologie comparée
- 5. Le renouveau de l'hypothèse steppique
- 6. Les premières sociétés inégalitaires
- 7. Indo-Européens et extrême droite
- 8. La colonisation néolithique de l'Europe
- 9. L'arbre des langues et des gènes
- 10. Les contraintes d'un modèle en arbre
- 11. Modèles alternatifs
- 12. Bibliographie
INDO-EUROPÉENS (archéologie)
Les Indo-Germains
Les données archéologiques restant embryonnaires, les chercheurs porteront aussi, durant toute la seconde moitié du xixe siècle, une attention particulière à une nouvelle discipline, l'anthropologie physique, dont le propos est, selon les statuts de la Société d'anthropologie de Paris, « l'étude scientifique des races humaines », principalement par la mesure des crânes. On oppose ainsi classiquement, à la suite du Suédois Anders Retzius, crânes allongés (ou dolichocéphales) et crânes trapus (ou brachycéphales). L'hypothèse d'une race indo-européenne se précise, mais avec des avis divergents, où les enjeux nationalistes, surtout après la guerre franco-allemande de 1870, deviennent bientôt transparents. Certains chercheurs allemands (mais pas Schrader) commencent à plaider pour une race originelle dolichocéphale, grande et blonde. Cette hypothèse est refusée en France, où l'on en tient au contraire pour une race originelle brachycéphale et brune, tandis que d'autres, comme Paul Broca fondateur de l'anthropologie physique, partisan d'une autochtonie française, arguent que seules les langues indo-européennes, et non leurs porteurs, se seraient diffusées de l'Asie vers l'Europe.
À la fin du xixe siècle, plusieurs chercheurs allemands proposent une nouvelle hypothèse, ultime aboutissement du rapatriement du berceau orginel : l'Allemagne du Nord et la Scandinavie. Ainsi, les Indo-Européens, qui ont toujours été appelés « Indo-Germains » (Indo-Germanen) en allemand, sont identifiés aux Germains. L'argumentation linguistique est due à Hermann Hirt (pour celui-ci le hêtre, le saule, le bouleau, le sel, la mer, le saumon, etc., sont typiques à la fois du « vocabulaire commun » et des rives de la Baltique) ; l'argumentation anthropologique (la race originelle est la « race nordique ») et archéologique est proposée par l'archéologue allemand Gustav Kossinna. Pour ce dernier, se serait formée dans ces régions rudes, à la fin de la dernière glaciation, une race d'exception qui serait ensuite, par migrations successives dont témoigne par exemple la diffusion des dolmens, partie à la conquête d'une grande partie de l'Eurasie ; mais le métissage avec les races indigènes l'aurait aussi progressivement abâtardie et seul, finalement, le peuple allemand en conserverait la pureté originelle.
Si Kossinna est explicitement un nationaliste allemand dont l'œuvre se développe à l'orée du xxe siècle, au moment où se cristallisent un peu partout en Europe nationalisme réactionnaire et antisémitisme, c'est aussi un archéologue réputé. Sa théorie indo-européenne est saluée par les meilleurs archéologues de son temps, comme Joseph Déchelette en France ou Gordon Childe en Grande-Bretagne. Elle va pourtant servir de référence au nazisme, même si Kossinna meurt en 1931, et elle est reprise en particulier par l'un des principaux idéologues du régime, Alfred Rosenberg. Plus qu'un détournement illicite, le nazisme apparaît alors comme l'aboutissement logique, jusque dans ses conséquences les plus terrifiantes, d'une hypothèse historique particulière.
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Écrit par
- Jean-Paul DEMOULE : professeur émérite à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et à l'Institut universitaire de France
Classification
Média