INDUCTION, philosophie
L'induction dans les sciences
Confirmation et infirmation des hypothèses scientifiques
L'exemple précédent a montré que le problème de la confirmation d'une loi par des expériences se posait d'une façon sensiblement différente, suivant que les concepts examinés étaient considérés indépendamment ou dans le cadre d'une théorie scientifique. Il convient donc de considérer le cas où l' hypothèse qu'il s'agit de confirmer ou d'infirmer est un énoncé scientifique ayant la forme d'une loi, telle la loi de Mariotte (PV = RT) ou la loi de Galilée (v = at).
Le cas le plus simple est celui où l'on compare à l'expérience ou à un fait deux hypothèses mutuellement exclusives, dont on est sûr, par conséquent, que l'une est vraie et l'autre fausse. Si les hypothèses H1 et H2 et les « faits » E1 et E2 sont justiciables d'une même théorie, mathématique par exemple, on peut arriver à confirmer avec certitude l'une des hypothèses en infirmant l'autre au moyen d'un « fait ». Tel est, en effet, le mécanisme du raisonnement par l'absurde. Les géomètres grecs démontraient, par exemple, l'irrationalité de √2 en éliminant l'hypothèse de sa rationalité. Cette procédure de la confirmation par l'infirmation, très commode en mathématique, est d'un usage bien plus délicat quand on confronte à l'expérience des hypothèses physiques. Sa mise en œuvre postule, en effet, qu'on puisse énumérer complètement les hypothèses relatives à un domaine de l'expérience et que les observations alléguées pour infirmer une hypothèse soient d'une interprétation sans équivoque. Or, ces conditions sont si restrictives qu'elles ne se rencontrent pour ainsi dire jamais. Supposons d'abord, en effet, qu'on puisse mettre les hypothèses concevables sous la forme d'une alternative H1 ou H2. Posons par exemple H1 : la lumière se propage dans l'espace à une vitesse infinie, et H2 : la lumière se propage dans l'espace à une vitesse finie. Soit E1 l'observation des éclipses de Lune et soit J1 l'observation des éclipses des satellites de Jupiter. Descartes, affirmant qu'aucun délai n'existe entre l'instant où l'on observe une éclipse de Lune et celui où elle commence physiquement, en concluait que la vitesse de la lumière est infinie. Huygens, substituant à l'exemple pris par Descartes les résultats d'observations faites à l'observatoire de Berlin sur les satellites de Jupiter récemment découverts, infirme H1 et donne, dans son Traité de la lumière, une première mesure de la vitesse de propagation de celle-ci dans l'espace.
Cet exemple montre qu'une infirmation n'est pas nécessairement univoque, car l'erreur peut porter sur l'hypothèse ou sur la valeur des observations. En outre, réduire les hypothèses concevables à une alternative entre les membres de laquelle une expérience cruciale permettrait de trancher est une opération séduisante, possible dans les sciences formelles (logique ou mathématiques), mais provisoire et précaire dans les sciences empiriques où quelquefois apparaît une hypothèse qui montre le caractère faussement contradictoire de l'alternative posée. Ainsi, Léon Foucault conçut, au milieu du xixe siècle, une expérience qui devait permettre de trancher entre les conceptions corpusculaire et ondulatoire de la lumière. Il pensa avoir établi, en mesurant la vitesse de la lumière dans l'eau et dans l'air, que l'hypothèse ondulatoire était vraie. Or, on découvrit par la suite que ces conceptions n'étaient pas contradictoires, mais complémentaires.
Dans les sciences empiriques, on ne peut estimer que les hypothèses concevables ont toutes été envisagées et que des expériences cruciales sans aucune équivoque[...]
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Écrit par
- Bertrand SAINT-SERNIN : professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
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