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INEFFABLE

« Ce dont on ne peut parler, soutenait Wittgenstein, il faut le taire » ; car l'inexprimable, le mystique, se montre et ne se dit pas. Un indicible dont il n'y aurait ni ostension ni expression ne serait pas seulement ineffable, il serait inexistant. De toute façon, il y a quelque chose de dérisoire dans les doctrines de l'ineffable : elles parlent de ce qui est silence ; elles multiplient les discours sur ce qui est réfractaire à toute énonciation. Bien plus, elles inventent les notions d'énigme, de sens caché pour exprimer l'inexprimable : comme si, en procédant par dérobade, un sens pouvait arriver à établir au moins dans un demi-jour, dans un clair-obscur, ce qui se réfugie dans une ténèbre épaisse.

Ces doctrines tiennent en réalité que le vrai, ou le vrai du vrai, est secret, mais qu'on peut le percer si l'on « tord » le langage, si on le dépouille de ses usages ordinaires, si on l'aide à franchir ses propres limites en renchérissant sur ses effets rhétoriques, poétiques, mystiques même (à supposer que, par métonymie et métaphore, les connotations du langage, c'est-à-dire son pouvoir d'ajouter à la dénotation, à l'information logique, puissent éveiller chez l'auteur, l'auditeur ou le lecteur des résonances qui créent un état de réceptivité aux valeurs religieuses).

La sémantique et la stylistique n'ayant pas encore suffisamment éclairé certains effets de langue (« messages individualisés », « messages en situation »), il n'est pas possible de soutenir que la linguistique explique scientifiquement comment le langage passe le langage. Pourtant, la mystique, l'éthique, la métaphysique elle-même semblent fonctionner comme langage réglé, bien que le sujet et ses valeurs s'y trouvent impliqués. L'auto-implication parlée est décrite par Donald D. Evans à la suite des travaux de J. L. Austin sur les performatifs. Cette analyse tend à prouver qu'un jeu de langage propre à l'axiologie ou à la religion est parfaitement légitime. Toutefois, cette preuve démontrerait non pas qu'on dit l'indicible, mais qu'on dit les attitudes qui correspondent à l'expérience des valeurs. Finalement, Wittgenstein a raison : on n'exprime que ce qui peut l'être, on n'énonce pas l'ineffable ; mais la façon dont on dit ce qu'on vit peut être logique, avoir ses règles et son mode d'emploi.

— Henry DUMÉRY

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

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  • ABSOLU

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    • 4 222 mots
    ...réduit les dogmatiques et les symboliques religieuses à leur relativité et à leur contingence pour inviter au silence, à l'accueil muet de l' Ineffable. Dieu n'est ni quelque chose ni quelqu'un. Nommer l'absolu, c'est lui rapporter illusoirement notre langage, insérer dans nos catégories ce qui...