INÉGALITÉS Analyse et critique
Comment réduire les inégalités ?
La réduction des inégalités économiques et sociales, pour indispensable qu'elle soit, n'en est pas moins un travail de Sisyphe. C'est une œuvre politique toujours à reprendre, car les inégalités sociales ne sont jamais que des effets de surface résultant de l'action de structures profondes. Elles résultent en particulier des rapports de production, des rapports de classes ou de la division du travail. Une véritable politique de réduction des inégalités doit donc s'attacher à transformer ces structures profondes. Cela n'a, pour l'essentiel, jamais été le cas pendant les dernières décennies.
L'inefficacité des politiques de réduction des inégalités qui ont été mises en œuvre dans un pays comme la France ne doit donc pas surprendre. Ces politiques n'ont donné que peu de résultats, même quand elles étaient présentées comme fondamentales. Par exemple, une plus grande socialisation du revenu national ne peut pas suffire à elle seule à réduire les inégalités : d'une part, la structure et la nature des prélèvements (impôts directs et indirects, cotisations sociales) sont en réalité fort peu progressives ; d'autre part, les allocations versées aux plus démunis restent dérisoires et les plus favorisés bénéficient davantage de cette socialisation qu'eux, notamment en raison de l'usage spécifique qu'ils font de l'école (et en particulier de l'enseignement supérieur) ou des institutions culturelles ; ils n'assument qu'en faible partie le coût de ces services publics et équipements collectifs, dont ils sont pourtant les principaux voire quelquefois les seuls bénéficiaires. Ainsi, dans telle ville de province, chaque place d'opéra payée 40 euros bénéficie d'une subvention publique de 400 euros.
Aujourd'hui, une politique de réduction des inégalités devrait se déployer suivant quatre axes principaux. Nous nous contenterons de les indiquer, en signalant quelques-uns des problèmes qu'ils soulèvent et des débats qu'ils suscitent.
Lutter contre le chômage
En premier lieu, il est nécessaire de supprimer le chômage de masse. Les deux lois sur les 35 heures successivement adoptées en 1997 et en 1999, qui sont entrées définitivement en application en 2002, semblent marquer une rupture par rapport aux politiques antérieurement menées, qui, il faut le souligner, avaient toutes échoué. Cependant, compte tenu de la modestie des résultats obtenus, il apparaît bien que la réduction du temps de travail ainsi pratiquée et programmée est insuffisante ; tandis que ses contreparties, notamment en termes de flexibilité accrue du travail, provoquent déjà le rejet ou le soupçon d'une partie des salariés. Ce qui s'impose par conséquent, c'est une réduction massive, rapide et générale du temps de travail. Une telle politique serait cependant confrontée à la délicate question de son financement. Ce qui nous renvoie directement à la question centrale du partage des richesses produites. Et ce n'est pas en augmentant le temps de travail qu'on fera baisser le chômage...
Réduire les inégalités de revenus
Dans la perspective néo-libérale, toute compensation salariale est évidemment exclue : en cas de réduction du temps de travail, le coût salarial doit baisser en proportion du temps de travail pour ne pas compromettre la compétitivité des entreprises et l'ampleur des profits. La réduction du temps de travail aboutirait alors en fait non pas à créer de nouveaux emplois mais à partager les emplois existants, autrement dit à partager le chômage et la pauvreté, par exemple sous la forme d'une généralisation du temps partiel contraint. Un mouvement déjà largement engagé d'ailleurs, mais une perspective inacceptable pour les salariés titulaires de salaires bas ou moyens, dont la situation s'aggraverait.[...]
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Écrit par
- Alain BIHR : professeur de sociologie à l'université de Haute-Alsace, Mulhouse
- Roland PFEFFERKORN : professeur de sociologie à l'université Marc-Bloch, Strasbourg
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