INÉGALITÉS HOMMES-FEMMES, France
Les facteurs de dégradation relative de la situation des femmes
Les deux mouvements contradictoires évoqués aux chapitres 1 et 2 – avancées d'un côté, stagnation de l'autre – ne sont pas sans effets pervers. D'autant plus que la dynamique socio-économique d'ensemble des années 1980 et 1990 a aggravé la situation. Présentons rapidement deux exemples en ce qui concerne l'emploi et les relations conjugales.
Dégradation des conditions de l'emploi
Si le taux d'activité des femmes n'a cessé d'augmenter depuis les années 1970, dans un contexte de dégradation générale de la situation de l'emploi, c'est aussi au prix d'un taux de chômage et de précarité des femmes bien supérieur à celui des hommes ; et cela malgré leur insertion plus réduite dans le secteur industriel, lequel a perdu beaucoup d'emplois depuis 1975. L'augmentation de leur activité est due en très grande partie à la progression de « formes particulières d'emplois » (c'est-à-dire les différentes formes de travail précaire et de sous-emploi) : contrats à durée déterminée, « emplois aidés » de diverses natures, travail à domicile, travail au noir, travail intérimaire, sans compter le travail à temps partiel qui s'adresse massivement aux femmes. L'ensemble de ces « formes particulières d'emplois », y compris le temps partiel, représente aujourd'hui plus de 5 millions d'emplois contre 2 millions en 1982. Autrement dit, les femmes plus que les hommes ont été les victimes de la déréglementation néo-libérale du rapport salarial.
La montée rapide du travail à temps partiel est le signe avant-coureur d'une remise en cause de la dynamique de l'emploi des femmes. En effet, depuis 1980, la progression de l'emploi féminin correspond pour 80 p. 100 à une augmentation du recours au travail à temps partiel. Tous les emplois nouveaux créés dans le secteur tertiaire destinés aux employés, qui sont très majoritairement des femmes, sont des emplois à temps partiel. Le travail à temps partiel doit donc être considéré, comme l'ont souligné à juste titre les sociologues Margaret Maruani et Chantal Nicole, comme « l'ennemi principal de l'égalité devant l'emploi ».
Ce développement du travail à temps partiel résulte avant tout des politiques de gestion de la main-d'œuvre des entreprises et des incitations gouvernementales. Pour justifier ces dernières, on invoque souvent une « demande sociale des femmes » pour concilier travail et famille. Le temps partiel concerne pourtant d'abord les femmes de moins de vingt-cinq ans, qui ne sont pas celles qui sont les plus écrasées par les charges domestiques, et les plus de cinquante ans, qui en sont pour l'essentiel dégagées. Sans vouloir dénier toute réalité à cette fameuse « demande sociale des femmes », il convient surtout de souligner combien elle est contrainte, du fait de leur prise en charge du travail domestique et en raison des évolutions du marché du travail déjà évoquées. Le temps partiel contribue en fin de compte, et cela de manière décisive, à une redéfinition du statut du travail et de l'emploi, sur la base d'un critère de sexe. L'insertion professionnelle des jeunes femmes est de plus en plus difficile et contraste avec leur meilleure réussite scolaire.
Mentionnons encore parmi les mesures publiques dont les effets sont très problématiques pour les femmes la mise en place en 1985 de l'allocation parentale d'éducation, suivie en 1994 de son extension au deuxième enfant. Cette prestation constitue de facto une mesure de politique de l'emploi bien que présentée comme une mesure de politique familiale. Elle contribue avant tout à retirer du marché du travail un nombre non négligeable de femmes pour qui la reprise d'activité ne sera pas aisée.[...]
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Écrit par
- Alain BIHR : professeur de sociologie à l'université de Haute-Alsace, Mulhouse
- Roland PFEFFERKORN : professeur de sociologie à l'université Marc-Bloch, Strasbourg
Classification
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