INÉGALITÉS Théories de la mesure des inégalités économiques
Les inégalités ont-elles augmenté dans les années 1990 ? Quels sont les liens entre la croissance économique et l'évolution des inégalités ? Quelles sont les conséquences du chômage sur les inégalités ? À quel point une politique fiscale ou une politique sociale permettent-elles de réduire les inégalités ? Autant de questions situées au cœur des débats politiques et économiques contemporains, et qui supposent qu'on soit capable de mesurer les inégalités.
Or une telle mesure ne va pas de soi. Mesurer les inégalités implique, inévitablement, une prise de position sur ce que sont les inégalités. La quête d'une mesure objective des inégalités, sur le modèle des grandeurs physiques, est vaine. À ce titre, le recours à de simples indices statistiques de dispersion ne peut être satisfaisant, puisqu'il occulte cette inévitable prise de position. Il est donc souhaitable que les opinions qui sous-tendent les mesures des inégalités soient aussi explicites que possibles.
Ce constat est à l'origine d'un grand nombre de travaux depuis le début des années 1970 (cf. notamment Atkinson, 1970 ; Kolm, 1976 ; Weymark, 1981), dont l'objectif commun a été de construire et de caractériser des indices d'inégalités vérifiant un certain nombre de propriétés posées comme autant d'axiomes. Ces axiomes représentent certaines conceptions de ce que sont les inégalités. Les indices ainsi caractérisés sont normatifs, en ce sens qu'ils reposent sur des prises de position explicites en matière de justice distributive.
La théorie de la mesure des inégalités peut dès lors être interprétée comme une entreprise de traduction : traduction de principes de justice distributive en un indice d'inégalités, ou au contraire traduction de la formule mathématique qu'est un indice d'inégalités en termes de principes de justice distributive.
L'impasse des approches statistiques
Quelles inégalités mesurer ?
Le premier problème auquel on est confronté lorsqu'on tente de mesurer les inégalités a trait à leur identification : de quelles inégalités s'agit-il ? L'idéal serait évidemment de mesurer les inégalités de la manière la plus large possible, en prenant en compte toutes les caractéristiques ayant une influence sur le bien-être des individus, et dont on juge une distribution égalitaire souhaitable.
Il faut donc tout d'abord déterminer quelles sont les caractéristiques qu'on souhaite voir équitablement réparties. Cette question, qui est au cœur du débat politique (avec, notamment, l'opposition entre ceux qui souhaitent promouvoir une égalité des satisfactions et ceux qui défendent une égalité des chances), ne peut être tranchée par l'économiste. On la supposera donc ici résolue.
Cependant, cela ne règle pas toutes les difficultés. En effet, il se peut que certaines de ces caractéristiques soient difficilement mesurables et comparables, soit parce qu'elles se prêtent mal à une évaluation quantitative (par exemple, la qualité de l'environnement dans lequel vivent les individus, la qualité des réseaux sociaux dans lesquels ces individus sont insérés, etc.), soit parce qu'elles ne sont pas précisément connues (tel est le cas des revenus futurs qui ne sont par définition connus qu'ex post).
La théorie de la mesure des inégalités suppose également ces questions résolues. En d'autres termes, la théorie de la mesure des inégalités suppose donnés un ensemble d'individus et une variable pertinente dont on souhaite une distribution aussi égalitaire que possible. De manière générique, nous appellerons cette variable « revenu ». Insistons néanmoins sur le fait que la définition des variables pertinentes pour mesurer les inégalités et l'identification des récipiendaires ne sont pas éthiquement neutres, et impliquent une prise de position normative.[...]
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Écrit par
- Thibault GAJDOS : chargé de recherche C.N.R.S.
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