- 1. Impérialisme et déficit d'État
- 2. Mondialisation et inégalités entre grandes régions du monde
- 3. La persistance des inégalités entre pays
- 4. Inégalité devant l'inégalité
- 5. Résurgence des inégalités devant l'emploi et les salaires dans les pays riches
- 6. Le rôle de la mondialisation des échanges et des institutions
- 7. Les problèmes de mesure des inégalités et de la pauvreté
- 8. Bibliographie
INÉGALITÉS Les inégalités économiques
Les problèmes de mesure des inégalités et de la pauvreté
En France, le mouvement de réduction des inégalités de revenus qui a prévalu jusqu'au début des années 1980 s'est arrêté. Il n'en demeure pas moins que l'on n'observe pas dans ce pays de remontée spectaculaire des inégalités de revenus ni de la pauvreté. Avec le recul, on constate plutôt une fluctuation des inégalités et de la pauvreté au rythme du cycle économique. La pauvreté tend à se réduire durant les périodes d'expansion (typiquement la fin des années 1980) et à augmenter durant les périodes de récession (typiquement le début des années 1990 et depuis 2008) sans suivre toutefois de tendance nette, comme le montre une étude menée par Eric Maurin et Christine Chambaz.
Les enquêtes d'opinion confirment pourtant de manière récurrente que les inégalités et la pauvreté restent une préoccupation majeure de la population, notamment chez les salariés les plus modestes. Les consultations électorales révèlent, par ailleurs, qu'une partie très importante du salariat modeste rejette de façon radicale la société en train de s'édifier. Les statistiques sur la pauvreté semblent ainsi de moins en moins capables de remonter aux origines du malaise social français. Un fossé se creuse entre la vision relativement rassurante offerte par les statistiques et la réalité sociale.
Ce divorce peut s'expliquer de plusieurs façons. Tout d'abord, il faut souligner que par construction les statistiques ne prennent pas en compte l'incertitude à laquelle doivent faire face les individus et la précarité de leur situation. Elles mesurent la pauvreté et les inégalités de fait, après la réalisation des aléas qui affectent les vies professionnelles et familiales (licenciements, promotions, divorces, etc.). Or les individus ne sont pas seulement soucieux de leur situation courante, ils le sont également de leurs perspectives d'avenir. Les incertitudes pesant sur l'avenir sont un déterminant direct du bien-être très mal pris en compte dans les statistiques. Pour fixer les idées, supposons que l'on passe d'une situation où les familles les plus pauvres gagnent 900 euros chaque mois de façon certaine, à une situation où elles ont chaque mois une chance sur dix de ne rien gagner et neuf chances sur dix de gagner 1 000 euros. Les deux situations sont équivalentes en termes de revenus moyens observés chaque année, mais complètement différentes en termes de précarité des situations familiales.
En France toujours, au cours des décennies écoulées, l'instabilité professionnelle et familiale a augmenté significativement. Le risque de perdre son emploi et de devoir passer par le chômage a augmenté d'environ 30 p. 100 entre le début des années 1980 et la fin des années 1990. Le nombre de familles monoparentales a augmenté de 32 p. 100 entre 1982 et 1990, puis encore de 27 p. 100 entre 1990 et 1999. Depuis le début de la crise en 2008, le nombre de chômeurs de longue durée s’est accru de 56 p. 100 en France. Ces évolutions ont sans doute eu des conséquences assez négatives (mais occultées dans les statistiques) sur la perception de leurs ressources par les individus.
Les relations d'emploi sont plus fragiles, elles impliquent également chacun de façon de plus en plus personnelle. Dans chaque grande catégorie socioprofessionnelle (ouvrier, employé, cadre...), les métiers et les fonctions en progression sont ceux qui demandent le plus d'autonomie et où les interactions avec la clientèle sont les plus directes.
De façon générale, avec la fragilisation et la personnalisation croissante des relations d'emplois, la perception des inégalités a changé. Les inégalités deviennent source de souffrances vécues sur un mode de plus en plus personnel, et sont de moins en moins comprises comme l'aboutissement de processus sociaux.[...]
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Écrit par
- Charlotte GUÉNARD : maître de conférences en économie à l'Institut d'étude du développement économique et social, luniversité de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
- Éric MAURIN : chercheur en économie et statistique, administrateur I.N.S.E.E.
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