INFINI, mathématiques
L'âge classique
Convenons de nommer « âge classique » la période qui, s'inscrivant dans le champ de la révolution galiléenne, a vu, en même temps que l'essor du cartésianisme et celui des grands systèmes issus de lui, le bouleversement de la cosmologie traditionnelle, l'apparition et l'affermissement du calcul infinitésimal, la mise au jour des principes et des méthodes de la physique mathématique. Cette seule énumération permet de désigner le point où il convient de se placer, si l'on veut, pour l'âge classique, tracer le profil du concept d'infini mathématique. L'œuvre de Leibniz se détache comme la région où se nouent les fils de cet écheveau embrouillé que commence à constituer la question de l'infini.
La rupture du calcul infinitésimal
Marquons d'abord la rupture qu'a été la mise en œuvre du calcul infinitésimal, rupture qui a affecté en premier lieu le niveau opératoire et dont nous pouvons aujourd'hui désigner la racine. Ce fut la triple exigence de définir rigoureusement les concepts cinématiques de vitesse instantanée et d'accélération, de produire les instruments analytiques propres à préciser et à généraliser le concept de courbe, de promouvoir une mathématique qui fût à la hauteur de la tâche théorique inaugurée par Galilée : chercher à exprimer « dans la langue que parle la nature et qui est mathématique » les lois dynamiques qui régissent le mouvement des corps. À l'intérieur du champ mathématique, ces exigences débouchaient sur la mise en évidence de deux concepts : celui de fonction, sans lequel on ne peut donner pleine consistance à l'idée de loi physique ; celui de différentielle (ou de « fluxion », dans le langage newtonien), sans lequel il faut renoncer à poursuivre rigoureusement l'analyse locale du mouvement, et donc à en formuler les lois. Cet enrichissement de la mathématique a été pensé comme un retour à Archimède, au-delà de la tradition d'Apollonios (à laquelle, on le sait, Descartes était resté fidèle). Que, dans ce retour, les méthodes archimédiennes aient été déracinées et interprétées, arrachées aux limitations inhérentes à la mathématique grecque, c'est ce dont peuvent nous convaincre bien des déclarations de Leibniz, là où, contre le finitisme cartésien, il en appelle, à son propre avantage et pour marquer la supériorité de son calcul, à l'exemple et à l'autorité d'Archimède. Mais, à s'en tenir là, on ne mesurerait pas toute la force de la rupture. Le développement du nouveau calcul et, après Newton et Leibniz, son rapide essor consacraient un déplacement de la mathématique tout entière. Elle ne s'inscrit plus au ciel éternel où demeurent les essences fixes. Elle se manifeste comme instrument de rationalité, au lieu où est le monde, dans l'organisation des mouvements, dans la contexture des corps, dans l'ordre et la connexion des mesures. Et, si l'établissement de la mathématique en ce lieu exigeait l'usage de dx, il n'y a rien d'étonnant à ce que, en dépit des difficultés logiques auxquelles il donnait lieu, l'infini ait acquis, dans l'analyse en formation, son droit de cité.
Une autre circonstance y a sans doute aidé. Elle ne vient pas de la mathématique, mais de la philosophie et de la cosmologie. En ces domaines, il a fallu affronter l'infini que les Grecs avaient contourné, et s'efforcer d'en constituer un concept. L'élaboration théologique et métaphysique a précédé ici l'exigence cosmologique, qui pour l'essentiel est post-copernicienne (cf. cependant Nicolas de Cues). Mais les deux faces du concept s'articulent sur la même problématique dès l'instant où l'on se pose cette question : « Le prédicat infini convient-il d'une manière univoque à Dieu[...]
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Écrit par
- Jean Toussaint DESANTI : professeur émérite à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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