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INFLUENCE

Les mécanismes de la communication

L'influence et ses modes

À Herbert Kelman revient, dans le cadre d'une réflexion théorique sur les mécanismes inhérents au changement d'opinions, le mérite d'avoir ouvert cette voie féconde. Laissant de côté le détail de son savant paradigme où il résume, avec un incontestable sens synthétique, les principales conclusions de son étude, on rappellera simplement la distinction fondamentale qu'il établit entre trois processus d'influence, à savoir la soumission, l' identification et l'intériorisation. Notons d'abord que ces trois termes ne sont pas tous sur le même plan. La soumission en effet implique une sorte de calcul utilitaire en vertu duquel nous obtempérons aux injonctions d'autrui parce qu'il contrôle les moyens, pour reprendre l'expression de Herbert Kelman, et nous tient sous sa surveillance, c'est-à-dire qu'il peut user à notre égard de sanctions négatives. Or il n'y a rien de tel dans l'identification ou dans l'intériorisation : dans le premier cas, c'est l'association symbolique d'un comportement à un autrui fortement valorisé (qu'il s'agisse d'une personne ou d'un groupe) qui nous pousse à l'adopter ; dans le second c'est la conformité de tel ou tel mode de conduite à notre système de valeurs qui nous incite à le faire nôtre. S'il est encore permis de parler ici de sanctions, elles sont, cette fois, positives : l'opposition est donc très nette entre le premier mode, qui ne relève pas, comme on le verra, de l'influence au sens strict, et les deux derniers. De surcroît, Kelman a, semble-t-il, le tort de ne pas assez souligner que l'influence implique, avant toute autre caractéristique, une relation sociale entre influenceurs et influencés. La typologie de Kelman n'est donc pas pleinement satisfaisante : elle n'en représente pas moins une importante contribution à l'étude de l'influence, à laquelle il est juste de rendre hommage, comme Talcott Parsons ne manque pas de le faire dans son important article sur ce sujet.

Parsons procède à une analyse ou plus exactement à une clarification de concepts qui marque, en ce domaine précis, une étape dans l'élaboration d'un langage véritablement scientifique. Il dissocie nettement influence et pouvoir : alors que le pouvoir implique un recours à des sanctions négatives, faisant ainsi fond sur la contrainte, c'est sur l'intention des personnes qu'agit l'influence, en faisant appel à des raisons positives de se conformer aux suggestions de l'influenceur. Ces dernières précisions permettent à Parsons de procéder à une autre distinction, plus subtile, entre l'influence proprement dite et l'incitation qui fait bien appel à des sanctions positives mais – et c'est là toute la différence – d'ordre situationnel et dont le versement d'une somme d'argent peut être considéré comme le prototype. Parsons insiste aussi avec bonheur sur le mode spécifique de l'influence, à savoir la persuasion. L'influence suppose donc, pour être efficace, que l'on gagne, indûment ou non, la confiance d'autrui : elle prend ainsi la forme, pour reprendre l'expression parsonienne, d'une capacité générale de persuader ; cela ne veut pas dire bien sûr qu'elle s'étende à tous les domaines – puisque, comme on l'a vu, il existe des sphères d'influence –, mais qu'elle se reconnaît à une certaine régularité dans les effets. L'influence est d'autant mieux assise qu'elle est susceptible d'applications plus nombreuses : une occasion unique ne saurait en tout cas suffire à la fonder ou à l'établir. L'analyse de Parsons aide donc incontestablement à mieux saisir la signification de l'influence ; elle serait même exemplaire si le théoricien américain ne cherchait à la faire rentrer à tout prix dans le cadre de ses sous-systèmes et de ses catégories générales.[...]

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Écrit par

  • : professeur de sociologie à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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