INFORMATION ET PROGRAMME GÉNÉTIQUES
L'ADN, programme ou données ?
Les gènes étaient autrefois définis de façon formelle sans qu'on en connaisse la nature, à partir de l'observation de transmissions héréditaires de caractères, qui constituent en effet des processus génétiques au sens traditionnel du terme, c'est-à-dire des processus de genèse des organismes à partir de ce qui les produit, comme un effet est produit par sa cause où, comme disait Aristote, « le père est cause de l'enfant... ce qui produit le changement [est cause] de ce qui est changé » (Physique, II, 3).
Or aujourd'hui, connaissant la structure physique des gènes, nous sommes dans une situation curieuse (et apparemment paradoxale si l'on ne s'en tient qu'au langage) où nous devons admettre que le processus génétique ne se trouve pas dans le gène. Le paradoxe n'est qu'apparent dès qu'on réalise que le gène n'est pas un processus, puisque c'est une molécule. La structure moléculaire statique du gène joue certes un rôle déterminant, mais comme élément d'un processus de production qui implique par ailleurs d'autres molécules et surtout un ensemble de réactions, de transformations physiques et chimiques, entre ces molécules. Le rapport traditionnel entre structure et fonction a changé de nature. Une structure non vivante, celle d'une molécule, est responsable de fonctions qu'on percevait autrefois comme des fonctions vitales. On a bien du mal aujourd'hui à se débarrasser de la connotation vitaliste attachée à la notion même de fonction, alors qu'on envisage pourtant le rôle de structures moléculaires. En un mot, le gène n'est pas vivant et il est encore censé expliquer la vie. À tel point que beaucoup de non-spécialistes ne peuvent pas se résoudre à admettre qu'un gène n'est qu'une molécule.
Si l'on admet, comme on le dit trop vite, que le génome, ensemble des gènes, contient le secret de la vie, et qu'en conséquence la découverte de chaque gène dévoile un peu plus de ce secret, alors il est en effet bien difficile de comprendre en même temps qu'un gène est une molécule. Car si un gène contient une partie des secrets de la vie, comment pourrait-il n'être qu'une molécule, c'est-à-dire un morceau de matière non vivante ? On doit en fait se résoudre à accepter, comme le disait déjà au début du xxe siècle Szent-Gyorgi (cf. A. Lwoff), que « la vie n'existe pas » au sens d'objet d'investigation de la biologie, et encore moins au sens d'un principe explicatif des caractéristiques des organismes vivants. Et en effet, celles-ci apparaissent de plus en plus comme des conséquences d'interactions multiples entre espèces moléculaires différentes, constituant des systèmes dynamiques complexes, plutôt que de l'exécution d'un programme initial contenu tout entier dans l'ADN.
Mais une fois la nature et l'origine de cette illusion reconnue, nous devons nous demander quelles sont les autres possibilités pour une séquence binaire, outre celle d'être un programme.
Une première possibilité serait qu'il s'agisse d'une séquence aléatoire. Si l'on entend par là une séquence sans signification, cette éventualité est bien difficile à accepter, car on comprendrait mal alors comment de telles séquences pourraient déterminer les fonctions biologiques qui constituent, dans la métaphore informatique, la signification de l'information génétique.
Mais il existe une autre possibilité : que la séquence binaire ne soit ni programme ni aléatoire, mais qu'elle constitue des données.
La distinction entre programme et données semble évidente : un programme de multiplication ou de division, par exemple, multiplie ou divise des nombres qui lui sont donnés. Le programme opère sur des données et les traite. Un même[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Henri ATLAN : professeur émérite de biophysique aux universités de Paris-VI-Pierre-et-Marie-Curie et de Jérusalem, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris, directeur du Centre de recherches en biologie humaine, hôpital Hadassah, Jérusalem (Israël)
Classification
Média