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INFORMATION : L'UTOPIE INFORMATIONNELLE EN QUESTION

La crise de l'utopie technologique

Avec la crise de la bulle Internet et celle de la « nouvelle économie », comme on l'appelle alors, la fin du siècle révèle les premiers indices du décalage entre la réalité et le discours salvateur sur les vertus de la société globale de l'information. La bulle discursive sur les paradis réticulaires s'est conjuguée avec la bulle spéculative sur les valeurs boursières. La première, en porte-à-faux avec la réalité des « fractures numériques », reflets des fractures socio-économiques ; la seconde, avec l'économie réelle. L'explosion des deux bulles va remettre les pendules à l'heure. Les autres indices de l'ébranlement des mythes se précipitent dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001 et la global war sans fin contre le terrorisme qui s'ensuit. Crise de la croyance dans le tout-technologique, de cette foi exagérée dans les capacités des dispositifs orwelliens d'intelligence électronique, tant civils que militaires, de contrôler les flux de la planète. Perte de crédibilité du leitmotiv de la fin de l'État et de l'État-nation, pierre d'angle des visions techno-utopiques de la société globale de l'information : la puissance étatique a recouvré la place centrale qui lui est échue dans l'emploi des instruments de la violence légitime, ses pouvoirs régaliens, et dans l'aménagement du cadre de l'économie, à commencer par celle des réseaux. Ébranlement des bases doctrinales du soft power, qui s'est effacé devant le retour des versions hard du pouvoir. La force s'affiche comme agent essentiel dans la réalisation du projet économique d'intégration globale et de mise en forme du monde. Le témoignage de Francis Fukuyama est ici d'autant plus notable que ce théoricien des relations internationales avait proclamé, au sortir de la guerre froide, que le monde vivait la fin de l'histoire et que la démocratie planétaire adviendrait fatalement par l'incorporation de plus en plus de sociétés au marché global. « Un des principaux problèmes, confiait-il au journal Le Monde du 14 janvier 2007, concerne la redéfinition du soft power. À l'origine, il était fondé sur l'image, les principes, les valeurs. Sur ces points, les dommages sont considérables. Dans le Tiers Monde, le modèle américain, le marché, la démocratie ne sont plus pris au sérieux. Quand nous parlons des droits de l'homme, on nous répond Abou Ghraib. »

L'obsession sécuritaire a mis en évidence la face cachée des technologies de l'information et de la communication appliquées à la gestion des sociétés : la surveillance et ses dispositifs panoptiques. Ce qui a changé, c'est le fragile équilibre démocratique entre la règle et l'exception, la liberté et la sécurité, le consentement et la contrainte, la transparence et le secret. Le mouvement de défense des libertés civiles aux États-Unis l'a bien compris qui a protesté contre le Patriot Act (26 oct. 2001) et autres législations antiterrorisme adoptées au lendemain des attentats, qui autorisent le profilage des individus à travers les écoutes et les perquisitions des ordinateurs. Plus globalement, le resserrement des institutions autour de l'objectif de la sécurité nationale a réactivé les schémas du temps de la guerre froide de complexe militaro-industriel et de coopération entre la recherche universitaire, l'industrie et les organismes de renseignement militaire et civil. Comme au temps de l'invention d'Internet. La D.A.R.P.A. (Defense Advanced Research Projects Agency), berceau de ce dernier, redevient l'épicentre de la construction du système intégré des réseaux de banques de données qui a pour but de centraliser et de croiser l'ensemble des données personnelles sur les citoyens. Le maître d'œuvre, cette fois, n'en[...]

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Écrit par

  • : professeur en sciences de l'information et de la communication, à l'université de Paris-VIII-Saint-Denis-Vincennes

Classification

Média

Norbert Wiener - crédits : Bettman/ Getty Images

Norbert Wiener