INFORMATION : L'UTOPIE INFORMATIONNELLE EN QUESTION
Tous passeurs de savoir ?
Quelle philosophie d'action émerge de la critique adressée par les nouveaux sujets de l'espace public à la société de l'information ? Deux principes articulent leur positionnement face aux logiques marchandes qui poussent à la patrimonialisation.
Le premier est celui des « droits à la communication », quel que soit le support de cette dernière. Ironie de l'histoire, il s'agit là du retour en force d'un concept apparu dès 1969. Il a été avancé publiquement par le Français Jean d'Arcy, alors directeur de la division de la radio et des services visuels au Service de l'information de l'O.N.U. à New York, à un moment où se nouait à l'U.N.E.S.C.O. le débat sur les libertés dans le domaine de l'information. Dans un article publié dans la revue de l'Union européenne de radiodiffusion, celui qui fut aussi un des pionniers du service public de télévision en France et membre du premier Haut-Conseil de l'audiovisuel déclare sans ambages : « La Déclaration universelle des droits de l'homme qui, il y a vingt et un ans, pour la première fois, établissait en son article 19 le droit de l'homme à l'information aura un jour à reconnaître un droit plus large : le droit de l'homme à la communication [...] Car, aujourd'hui, les peuples savent, et s'ils sont plus difficiles à gouverner, c'est peut-être que l'instrument de communication, d'information et de participation qu'on leur offre ne correspond plus au monde actuel et à l'avance de sa technique. » Prit ainsi forme au cours de la décennie suivante à l'U.N.E.S.C.O. l'idée de la caducité du modèle vertical du flux d'information à sens unique où l'on se contente de livrer des contenus : rejet d'une communication depuis l'élite vers les masses, du centre vers la périphérie, des riches en matière de communication vers les pauvres. Mais, à partir des années 1980, les processus de dérégulation, qui ont rendu possible la constitution des bases du nouveau complexe techno-informationnel marqué par les logiques de la financiarisation et de la concentration, conduisirent à remiser le concept encore embryonnaire.
Le second principe est issu de la philosophie balbutiante des biens publics communs. Si l'information, la connaissance et le savoir sont de plus en plus traités comme un bien immatériel appropriable, c'est qu'ils ont acquis un rôle décisif dans la formation de la valeur économique. C'est à cette captation monopolistique des biens immatériels que s'oppose le concept de biens publics communs : culture, information, savoir et éducation, mais aussi santé, environnement, eau, spectre des fréquences de radiodiffusion, etc., tous domaines qui, pour les contestataires des logiques à l'œuvre, devraient constituer des « exceptions » par rapport à la loi du libre-échange. Comme le proclame un de leurs manifestes : toutes ces « choses auxquelles les gens et les peuples ont droit, produites et réparties dans des conditions d'équité et de liberté qui sont la définition même du service public, quels que soient les statuts des entreprises qui assurent cette mission. Les droits universels humains et écologiques en sont la règle, les institutions internationales légitimes le garant, la démocratie l'exigence permanente, et le mouvement social la source ». Les principes qui permettraient la formulation d'un droit mondial apte à enrayer le grignotage par les logiques privées du champ de compétence des concepts de bien collectif et public sont en place : ils sont inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté dix-huit ans plus tard. Mais la définition de ce patrimoine commun est toujours, et plus[...]
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Écrit par
- Armand MATTELART : professeur en sciences de l'information et de la communication, à l'université de Paris-VIII-Saint-Denis-Vincennes
Classification
Média