INGÉNIEUR ET ARCHITECTE
L'architecte face aux défis contemporains
C'est seulement au cours des dernières décennies que la situation a commencé réellement à évoluer à grande échelle. L'ébranlement des identités traditionnelles de l'architecte et de l'ingénieur a joué et joue encore dans l'affaire un rôle déterminant. On n'est plus à l'époque où l'architecte, arborant souvent un nœud papillon, adoptait une posture de démiurge inspiré, tandis que l'ingénieur, d'apparence généralement moins flamboyante, invoquait l'exactitude de ses calculs et l'évidence de ses solutions. Les spécificités et les prérogatives des uns et des autres se sont érodées. Cette érosion présente des aspects menaçants, mais elle se révèle surtout riche de promesses.
Du côté de l'architecte, on assiste à une crise de la compétence technique traditionnellement attachée à un personnage chargé de coordonner les interventions de différents corps de métiers et professions, en aval de la définition formelle du projet. De la programmation au câblage des immeubles, en passant par les études de structure, de plus en plus de dimensions échappent au contrôle de l'architecte. Le phénomène n'est pas récent, mais il s'est accéléré récemment sous l'influence de plusieurs facteurs.
Le premier tient à la complexité croissante des constructions contemporaines, dans lesquelles la part du gros œuvre va diminuant au profit de systèmes techniques que l'architecte ne maîtrise que très incomplètement. Après l'éclairage, le chauffage, la ventilation, les réseaux d'information viennent à leur tour marquer de leur empreinte le bâtiment. Celui-ci tend à perdre du même coup son caractère d'objet relevant d'une approche essentiellement spatiale. Son existence se confond de plus en plus avec les services qu'il assure – services qui ne sont plus vraiment du ressort de l'architecture. En d'autres termes, la prolifération des équipements techniques vient remettre en cause le rôle de chef d'orchestre autrefois dévolu à l'architecte. Elle vient renforcer dans de nombreux cas le pouvoir des bureaux d'étude et d'entreprises qui apparaissent plus à même de maîtriser les multiples aspects de la construction contemporaine, depuis la programmation initiale des espaces jusqu'à la définition des tâches de maintenance.
La généralisation de l'outil informatique constitue un autre facteur déstabilisant. La sophistication des logiciels de dessin et de conception assistée semble tout d'abord mettre la manipulation de formes géométriques complexes à la portée du premier venu. Le cœur de métier de l'architecte se trouve du même coup ébranlé. Par-dessus tout, les programmes orientent la définition du projet sans que ceux qui les utilisent en aient toujours conscience. Est-ce à dire que l'architecte devrait être en mesure de contrôler le contenu des algorithmes qu'il utilise afin de retrouver son rôle d'autrefois ? Certains n'hésitent pas à franchir le pas en appelant de leurs vœux l'avènement d'une nouvelle figure de concepteur caractéristique de l'ère numérique, capable de passer sans effort de la programmation à l'analyse spatiale.
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Écrit par
- Antoine PICON : professeur d'histoire de l'architecture et des techniques à la Graduate school of design de l'université Harvard, Cambridge, Massachusetts (États-Unis)
Classification
Médias
Autres références
-
ARCHITECTES ET INGÉNIEURS (expositions)
- Écrit par Michel COTTE
- 1 247 mots
L'ouvrage d'art et le grand bâtiment public ou industriel prennent place à la frontière de deux cultures, celle des architectes et celle des ingénieurs. Confrontation et complémentarité, affirmation d'autonomie et source mutuelle d'inspiration, l'ambiguïté paraît marquer cette rencontre. Les démarches...