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INGLOURIOUS BASTERDS (Q. Tarantino)

Avec Inglourious Basterds (2009), Quentin Tarantino se confronte à l'Histoire par le biais de l'histoire du cinéma et réciproquement, en jouant à la fois de la reconstitution de la France occupée pendant la Seconde Guerre mondiale et de la représentation que le septième art (hollywoodien comme français) en a donnée. En fait, l'intérêt du metteur en scène pour le cinéma de genre (le film de guerre), et surtout de sous-genre (aventures sous l'occupation nazie) sera une première source de création, l'originalité de ce travail sur les stéréotypes étant que son regard n'est nullement critique mais au contraire complice et jouissif. Tant le réalisateur aime les clichés et le plaisir cinéphilique qu'ils procurent !

Kill Bill 1 et 2 (2003 et 2004) puis Boulevard de la mort (2007) avaient poussé le pastiche au-delà du rocambolesque. De ces œuvres, Inglourious Basterds reprend le thème de la vengeance, la division en chapitres, la violence, les comportements aberrants. Mais de véritables scènes de comédie dignes d'Ernst Lubitsch (situations cocasses, quiproquos, mots d'auteur) et une certaine logique psychologique et narrative permettent de tempérer la force explosive qui marque la confrontation entre le style « western spaghetti » de Sergio Leone et les codes des films américains (souvent de série B) sur la Seconde Guerre mondiale. Comme dans les films précédents du réalisateur, la musique d'Ennio Morricone souligne une parenté revendiquée, mais on notera aussi la présence de la ballade d'Alamo (1960) écrite par Dimitri Tiomkin et les références dûment assumées de l'auteur aux films signés des metteurs en scène européens : H. G. Clouzot et surtout aux œuvres antinazies des exilés à Hollywood (L. Moguy, F. Lang, J. Dassin, D. Sirk). Sans oublier l'acteur George Sanders, modèle du personnage d'Hicox, le critique de cinéma membre d'un commando britannique, interprété par Michael Fassbender. Reste que tous ces films étaient au premier degré, tandis que les « bastards » de Tarantino se démarquent de manière décalée des Douze Salopards de Robert Aldrich (1967).

L'image la plus politiquement incorrecte est celle que les bastards juifs menés par Aldo Raine (Brad Pitt) donnent des libérateurs américains en scalpant les responsables de la Shoah comme le faisaient les Apaches au cours des « guerres de pacification » conduites contre les tribus indiennes. Il s'agit de faire changer de camp la barbarie pour terrifier l'adversaire. Dans sa volonté de bouleverser l'Histoire, Tarantino va jusqu'à introduire des personnages de fiction qui en changent brutalement le cours. Ils feront mourir à leur façon (c'est-à-dire fictionnelle) Hitler et les principaux dignitaires du IIIe Reich au cours d'un attentat dans le cinéma de Paris où se déroule la première de La Fierté de la nation, un film imaginaire qu'aurait produit Goebbels pour glorifier la féroce bravoure de Fredrick Zoller (Daniel Brühl). En fait, ce film évoque directement Kolberg de Veit Harlan (1945), dernier film nazi, mais aussi L'Enfer des hommes (To Hell and Back, 1955), où Audie Murphy jouait son propre rôle de héros de guerre, voire Sergent York de Howard Hawks dont l'idéologie est elle aussi discutable. Le personnage de Hitler apparaît quant à lui à mi-chemin entre le Hynkel de Chaplin (Le Dictateur, 1941) et Docteur Folamour de Stanley Kubrick (1963), interprété par Peter Sellers.

Sur les cinq chapitres qui composent le film, trois sont de longs combats verbaux, ce qui n'est pas courant pour un film d'action. Au cours du premier d'entre eux, le colonel Landa (Christoph Walz, prix d'interprétation au festival de Cannes) amène le paysan français à trahir les juifs qu'il cache sous le plancher ; par la suite, au terme d'une autre joute, un officier nazi découvre des[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

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