BERGMAN INGMAR (1918-2007)
Ingmar Bergman est mort à quatre-vingt-neuf ans, dont soixante années vouées au cinéma et un peu plus au théâtre. De tous les grands auteurs de films de cette génération, il est celui dont la vie a le plus évidemment été consacrée au travail, et dont l'œuvre est le plus abondant : des dizaines voire des centaines de mises en scène, de scénarios, de films pour la télévision, près de cinquante films de cinéma. Aussi bien les dernières années de sa vie ont-elles été par lui destinées, non à l'érection d'un monument à sa gloire – car, sous la vanité inévitable, il avait la modestie profonde des grands créateurs –, mais à la préservation des traces du travail.
Paradoxe si l'on veut : cet homme célèbre et célébré pour ses films, auteur de plusieurs des grandes icônes de l'art cinématographique, de Monika à Persona ou Fanny et Alexandre, s'est toujours vu d'abord comme un homme de théâtre. Son long parcours, obsessionnel et changeant, a été sensible à l'époque, à la morale, à la passion – mais obstinément ancré dans l'amour d'un art : l'art dramatique.
Comment on devient un maître
Né le 14 juillet 1918 à Uppsala (Suède), Ingmar Bergman était le second fils d'un pasteur, qu'il a souvent dépeint comme un homme juste mais tourmenté et sévère ; son adolescence fut une longue révolte contre son milieu, avec lequel il rompit à vingt ans, pour travailler dans le théâtre puis, très vite, dans le cinéma. Jeune réalisateur aux dents longues, acharné, extraordinairement productif, il fut après la guerre l'auteur de drames naturalistes, où des jeunes gens révoltés contre une société sûre et confortable, mais étouffante, traînaient leur mal existentiel jusqu'au suicide ou la résignation. Bergman apparaissait alors comme l'un des représentants, talentueux et inégal, du réalisme noir de l'après-guerre – écho assez strict de ce que, en littérature et en philosophie, a signifié l'existentialisme. C'est l'époque qui culmine avec Jeux d'été et Monika, lesquels éblouirent Truffaut et Godard, entre autres parce qu'on y voyait de belles jeunes femmes avoir l'air de désirer vraiment faire l'amour avec leurs amoureux. Vinrent alors, coup sur coup, trois entreprises bien différentes – Sourires d'une nuit d'été, Le Septième Sceau, Les Fraises sauvages –, qui valurent à Bergman, avec des prix à Cannes et à Berlin, une deuxième gloire critique et la célébrité mondiale. Ce deuxième Bergman allait devenir, très vite, l'une des valeurs sûres des ciné-clubs et de la critique, illustrant avec verve les genres consacrés et y ajoutant une tonalité mi-grotesque, mi-philosophique.
Le metteur en scène aurait pu en rester là et refaire du Bergman – comme il en fut manifestement tenté (voir Le Visage, La Source ou L'Œil du Diable). Il est devenu un grand cinéaste en abandonnant cette gloire-là pour une autre, plus profonde et plus risquée. Les années 1960 vont ainsi être marquées par la concentration sur des thèmes intimes, tels la foi, la mort, la femme comme autre, le double et le visage, et l'invention accélérée de formes de récit, de relation aux personnages et d'autobiographie indirecte. Persona est l'apogée de cette période ; le prestige que ce film lui valut ne s'est jamais démenti, et chaque projection étonne encore aujourd'hui. Après une période déroutante, où il sembla régresser pour retrouver des scénarios psychologiques et des fictions réalistes (Cris et Chuchotements, Scènes de la vie conjugale), Bergman connut une quatrième et définitive gloire critique avec Fanny et Alexandre, où les inventions d'image sont discrètes, mais où se révèle en vraie grandeur ce qui avait été le moteur caché de tous les films antérieurs : le sens du rythme affectif.[...]
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Écrit par
- Jacques AUMONT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales
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Médias
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