BERGMAN INGRID (1915-1982)
Une perfection où s’installe le doute
Refusant de se laisser confiner par la suite dans un genre où le public la retrouverait toujours semblable, elle arrache, au lieu du rôle de « la petite fiancée », celui de « l'impudente barmaid » dans Dr. Jekyll and Mr. Hyde de Victor Fleming (1941). Les firmes de Hollywood se la disputent, et lui offrent l'élite des partenaires : outre Gary Cooper, Humphrey Bogart pour Casablanca de Michael Curtiz (1942) ; Charles Boyer et Joseph Cotten pour Hantise de George Cukor (Gaslight, 1944) qui lui vaut un oscar. Elle décroche, en 1948, le rôle de Jeanne d'Arc, depuis toujours désiré, à la fois au théâtre, puis à l'écran. Hitchcock, flairant en elle ce « je ne sais quoi » qui confère au personnage et à l'intrigue leur vie et leur mystère, lui fait tourner coup sur coup trois films : La Maison du Dr Edwards (Spellbound, 1945), Les Enchaînés (Notorious, 1946), avec Cary Grant, et Les Amants du Capricorne (Under Capricorn, 1949).
Revoyant, trente ans après, la Jeanne d'Arc de Victor Fleming, Ingrid Bergman relève les faiblesses de ce film trop léché mais surtout critique son jeu d'où la beauté devrait rayonner d'ailleurs que des afféteries d'un métier parfait. Ce qui expliquerait, croit-elle, le sentiment en elle d'un manque que combla le coup de foudre éprouvé lors de la découverte du néo-réalisme à travers Rome, ville ouverte (1945) et Paisà (1946). Car ce fut Rossellini qui porta son art à l'incandescence : de Stromboli, terra di Dio (1950) à La Peur (La Paura, 1954), en passant par Europa '51 (1952), Nous, les femmes (Siamo donne, 1952), Jeanne au bûcher (Giovanna d’Arco al rogo, 1954) et Voyage en Italie (Viaggio in Italia, 1954) – sans doute le chef-d'œuvre du maître –, Ingrid Bergman, par et pour Rossellini, a pu s'exprimer dans toutes ses dimensions.
Meilleure actrice de l'année pour Anastasia (1956) d’Anatole Litvak, au zénith de sa beauté dans Elena et les hommes de Jean Renoir (1956), charmante dans Indiscret (1958) de Stanley Donen, vraie dans L'Auberge du sixième bonheur (1958) de Robert Donat, puissante dans La Rancune (The Visit, d'après Dürrenmatt, 1964), de Bernhard Wicki, bouleversante dans The Human Voice (1966) – transposition de Cocteau – de Ted Kotcheff, pleine d'humour dans Fleur de cactus (1969) de Gene Saks, c'est à Ingmar Bergman qu'elle devra l'accomplissement de sa force expressive. Sonate d'automne (1978) est le chef-d'œuvre de cet alliage de cruauté et de tendresse propre au maître suédois. En unissant dans le duo mère-fille Liv Ullmann et Ingrid Bergman, il offrait à cette dernière, par le biais de la fiction, une synthèse de son existence : femme, actrice, mère, épouse. Il ajoutait aussi le plus beau fleuron à sa couronne dans cette fusion pathétique et superbe de la poésie avec la vie.
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Écrit par
- Hubert HARDT : professeur honoraire, critique de cinéma
Classification
Médias
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