THULIN INGRID (1926-2004)
Avec Harriet et Bibi Andersson, Liv Ullmann, Eva Dahlbeck, l'actrice Ingrid Thulin a marqué incontestablement le cinéma et les mises en scènes de théâtre d'Ingmar Bergman, tout comme le cinéaste suédois l'a profondément influencée. Pourtant, ce n'est pas à une débutante qu'il fait interpréter, en 1957, le rôle délicat de la belle-fille et confidente du vieil Isaak Borg dans Les Fraises sauvages. « Ce rôle a été écrit pour elle, dit Bergman. Ingrid Thulin est un instrument formidable. L'important était de faire jouer ce rôle par une personne solide et forte, qui était capable de l'exprimer. Dans son rayonnement, Ingrid Thulin possède quelque chose de substantiel... N'importe qui ne pouvait pas donner la réplique à une personnalité aussi impressionnante que Victor Sjöström. »
Née le 27 juillet 1926 à Sollefteå, dans le nord de la Suède, dans une famille de pêcheurs, Ingrid Thulin a étudié la danse, le théâtre à l'École royale de Stockholm, puis le mime avec le Français Étienne Decroux. Elle débute au Théâtre dramatique royal de Stockholm, entre autres dans Amorina, de J.-L. Almqvist, mis en scène par Alf Sjöberg. Dans les années 1950, elle joue et enseigne au Théâtre municipal de Malmö, dont Bergman est le directeur. On la voit dans Eurydice, de Jean Anouilh, La guerre de Troie n'aura pas lieu, de Jean Giraudoux, Deux sur la balançoire, de Willliam Gibson. En 1959, elle incarne, sous la direction de Bergman, le personnage de Rose dans une pièce de Hjalmar Bergman, Une saga.
Avant Les Fraises sauvages, elle avait participé, depuis 1948, à une quinzaine de films, parfois sous la direction de grands noms du cinéma suédois comme Gustaf Molander ou Arne Mattsson. Mais c'est Au seuil de la vie (I. Berman, 1958) qui lui vaut une renommée internationale ainsi qu'un prix d'interprétation féminine au festival de Cannes, partagé avec Eva Dahlbeck et Bibi Andersson. Dans Le Visage (id.), Ingrid Thulin interprète un mystérieux personnage à deux faces : l'épouse d'un magnétiseur déguisée en jeune homme. Elle devient une pièce capitale de l'univers de Bergman dans les deux derniers volets de la « trilogie » des « films de chambre ». Dans Les Communiants (1962), au pasteur au cœur sec qui se heurte au « silence de Dieu », Märta oppose lucidité et amour. Bergman se repose cette fois encore sur ce « quelque chose de substantiel » que seule pouvait apporter Ingrid Thulin : en un gros plan quasi continu de six minutes, elle récite une terrible lettre accusatrice pleine de passion. Dans Le Silence (1963), face à la sensualité de Gunnel Lindblom, Ingrid Thulin incarne Ester, la sœur glaciale qui s'enfonce dans le néant... Le rôle lui vaut un Guldbagge (césar suédois) d'interprétation. Après L'Heure du loup (1967) et Le Rite (1968), elle est Karin, la plus contradictoire des trois sœurs de Cris et chuchotements (1972), dont le déchirement donne lieu à une scène ineffaçable de mutilation sexuelle. C'est encore une demande d'amour, d'une crudité terrifiante, qu'Ingrid Thulin adressera à son metteur en scène (interprété par Erland Josephson) dans son ultime opus bergmanien, Après la répétition (1984).
C'est à la même lignée de personnages qu'appartient Ylva, qui tente vainement de découvrir la sensualité avec un vieil ami d'enfance dans Un et un, produit par Bergman et qu'elle co-réalise en 1978 avec Erland Josephson et l'opérateur attitré du maître, Sven Nykvist. Outre un court-métrage en 1965, Hängivelse (Dévotion) et une participation à des documentaires de Mai Zetterling, Ingrid Thulin a également dirigé, en 1982, Brusten Himmel (Ciel brisé), inédit en France.
En Suède, Ingrid Thulin a tourné avec des cinéastes tels qu'Alf Sjöberg (Le Juge, 1960), Mai Zetterling (Jeux de[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média