INNOVATION, notion d'
Si l'innovation renvoie intuitivement à l'idée de nouveauté, de changement et de progrès, elle constitue, du point de vue de la théorie économique, un phénomène spécifique, multiforme et complexe. Un phénomène spécifique, tout d'abord, car on ne peut parler d'innovation que si le changement est réellement porteur d'une valeur économique (capacité à satisfaire un besoin solvable ou à créer de la richesse) reconnue et exploitée de manière viable.
Un phénomène multiforme, ensuite, car l'innovation recouvre cinq grands types de changements (de « combinaisons nouvelles ») de nature très différente : l'offre d'un bien ou service nouveaux, l'introduction d'une méthode de production nouvelle ou de nouveaux moyens de transport, la réalisation d'une nouvelle organisation, l'ouverture d'un débouché, la conquête d'une nouvelle source de matières premières.
Un phénomène complexe, enfin. D'une part, parce que si l'innovation entretient des rapports étroits à la fois avec les phénomènes de découverte scientifique et technique (c'est-à-dire de production de connaissances nouvelles, fondamentales ou appliquées) et d'invention (idée technique susceptible d'applications potentiellement utiles) et avec les activités de recherche-développement (R&D), ces liens ne sont ni systématiques ni exclusifs : découvertes ou inventions non valorisées, échecs commerciaux, innovations fortuites ou induites, etc. D'autre part, parce que l'origine, les dimensions concurrentielles et l'impact macroéconomique de l'innovation restent problématiques, comme l'atteste la diversité des analyses qui traversent la théorie économique depuis l'œuvre pionnière de l'économiste autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950).
D'où vient l'innovation ?
Dans la Théorie de l'évolution économique publiée en 1912, Schumpeter met en avant le rôle central de l'entrepreneur individuel comme moteur de l'innovation et du progrès économique. Mû par la perspective d'un profit de monopole en cas de succès (avant d'être concurrencé par des « entrepreneurs-imitateurs »), l'entrepreneur-innovateur s'engouffre dans les occasions d'innover offertes par l'évolution de l'économie et des techniques. L'approche néo-autrichienne de l'entrepreneur (développée à partir des années 1930 et 1940 par Friedrich von Hayek, Ludvig von Mises ou encore plus récemment Israël Kirzner) affine cette analyse en avançant l'idée qu'il existe toujours des opportunités à exploiter, à condition toutefois de savoir les identifier et d'avoir l'audace et les capacités entrepreneuriales pour les transformer en innovations.
Cependant, cette vision est apparue en net décalage avec les réalités industrielles de la fin du xixe siècle qui deviennent très perceptibles dans les années 1920-1930 : la plupart des secteurs économiques sont désormais marqués du sceau de la grande entreprise managériale et de marchés oligopolistiques dominés par quelques grandes firmes. C'est dans ce contexte que Schumpeter développe en 1942 une thèse radicalement différente dans Capitalisme, socialisme et démocratie, celle de l'« innovation en grand » : ce sont les structures organisées de R&D au sein des grandes firmes industrielles qui constituent, dans le cadre du capitalisme moderne, la base fondamentale du développement organisé de nouvelles connaissances scientifiques et techniques et de la mise sur le marché d'innovations massives porteuses de progrès économique et social. Cette thèse sera reprise et étoffée à partir des années 1960 notamment par John Kenneth Galbraith (Le Nouvel État industriel, 1967), ou Richard Nelson qui insistent sur le rôle conjoint et imbriqué des grandes firmes industrielles,[...]
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Écrit par
- Abdelillah HAMDOUCH : professeur des Universités, directeur adjoint du département Aménagement de l'École polytechnique de l'université de Tours
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