INSIDE LLEWYN DAVIS (J. et E. Coen)
Un antihéros
Les cinéastes ont de fait raison quand ils refusent la tyrannie d’un modèle pour leur antihéros : de même que Barton Fink était et n’était pas le dramaturge Clifford Odets, de même Llewyn Davis fait plus que se distinguer de son modèle. L’évocation de la scène folk en cet hiver 1961 leur permet de réaliser, après O’Brother (2000), un autre grand film musical. Oscar Isaac, Carey Mulligan (dans le rôle d’une ex-petite amie très revancharde qui ne laisse rien passer à Davis) et les autres acteurs – dont le chanteur Justin Timberlake – se prêtent au jeu et interprètent eux-mêmes ces magnifiques ballades, comme « If You Miss the Train I’m On », et démontrent par l’exemple la force de pénétration de ce genre musical que chacun peut prendre à son compte. L’œuvre laisse une impression d’autant plus forte que la noirceur et la gravité sont souvent empreintes d’humour et de légèreté. C’est notamment le cas de l’enregistrement de la chanson « Please, Mr. Kennedy ! » qui ne manque pas de rappeler celui de « Man of Constant Sorrow » dans O’Brother. La plupart du temps, en dépit des insultes dont l’agonit son ancienne petite amie, Davis est un « loser » plutôt sympathique : le début du film le montre « enfermé à l’extérieur » d’un appartement cossu où il passait la nuit ; le voilà dehors avec le chat de la maison qu’il ne peut décemment abandonner. Les aléas d’Ulysse – le nom du félin roux – sont l’occasion de très bonnes scènes où l’humour juif des Coen devient new-yorkais, et flirte par moments (comme dans la scène avec le spécialiste de « musique ancienne ») avec le registre de Woody Allen.
Ce qui perd Llewyn Davis, on le voit dans sa relation avec sa sœur, c’est la méconnaissance du symbolique : ne souhaitant s’encombrer de rien (et surtout pas du chat de ses amis), rien ne s’attache à lui, tout lui échappe, tout est éternellement à recommencer. L’absurde répétition des jours sans progrès réel se révèle être le prix à payer. Le sympathique loser prend ainsi une place de choix dans l’univers de cinéastes qui, dans la comédie comme dans le drame, s’intéressent toujours avant tout – et ici sans une once de cynisme – à leurs personnages et à leur destin.
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Écrit par
- Marc CERISUELO : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée
Classification
Média