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INSOUMISSION

Les articles 122 à 131 du Code du service national français déterminent les conditions dans lesquelles un « assujetti au service national » peut être déclaré en état d'insoumission. Cependant, dans le langage courant, la notion d'insoumission est souvent confondue avec celle d'objection de conscience ou de désertion. L'objection de conscience est un refus préalable de se soumettre à l'assujettissement au service militaire ; la désertion ne concerne que des militaires en service et abandonnant leurs postes, en temps de guerre comme de paix. L'insoumission, elle, est un refus d'exécuter l'« ordre de route », à sa réception. Le délai accordé pour l'exécution de cet ordre est de huit à quinze jours en temps de paix et de deux en temps de guerre. Celui qui n'a pas respecté ce délai, l'insoumis, est passible du Conseil de guerre, et risque des peines d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans. Les insoumis sont privés de nombre de leurs droits civiques. La loi prévoit aussi des sanctions pour ceux qui emploient, cachent, encouragent les insoumis ou font de la propagande en leur faveur.

Dans la tradition politique que constitue le mouvement antimilitariste, il faut distinguer entre objection de conscience et insoumission. L'insoumission est le propre d'un refus souvent plus idéologiquement élaboré que l'objection. Elle est en effet rejet non seulement du service militaire, mais aussi des règlements qui permettent d'objecter. En ce sens elle est plus qu'une réflexion sur la guerre ou sur la violence, et son application concrète vise à faire poser les problèmes de l'armée en même temps que ceux de la société dans laquelle elle s'insère. Lors de la guerre d'Indochine, puis de celle d'Algérie, la France a connu des mouvements d'insoumission. Le Manifeste des 121 (sept. 1960), signé de cent vingt et un artistes ou écrivains, réclamait le « droit à l'insoumission ». Les insoumis se regroupaient dans le mouvement Jeune Résistance. L'insoumission, telle que l'ont présentée des mouvements comme le Mouvement anticolonialiste français ou le réseau Jeanson, marque un refus de l'armée en ce qu'elle est l'expression et l'instrument d'une politique et d'un pouvoir récusés ; ce refus d'une guerre jugée politiquement inutile ou nuisible se retrouve dans le mouvement d'insoumission (draft resistance) aux États-Unis. La condamnation de la guerre du Vietnam, du rôle des États-Unis dans cette partie du monde, de l'institution militaire en tant que telle, de la violence se retrouvait dans les raisons qui amenaient nombre de jeunes Américains à ne pas rejoindre leur poste ou à brûler publiquement leur livret militaire. Ce mouvement connut une ampleur et une structuration réelles dans les années 1967-1972. Il s'intégrait souvent dans un mouvement intellectuel plus vaste, contestant les valeurs considérées comme essentielles par la société américaine. L'insoumission n'est toutefois pas seulement un acte antimilitariste propre au temps de guerre. Ce choix est le plus souvent le propre de militants qui ne refusent pas l'armée comme entité abstraite, mais plutôt ce qu'elle exprime en tant que corps social au même titre que la police ou l'État. L'insoumission apparaît donc comme un refus de l'« objection de conscience légalisée » et comme une critique radicale de l'armée en tant qu'« expression d'une société et de son pouvoir politique ».

— Pierre SPITZ

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Écrit par

  • : chargé de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique

Classification

Autres références

  • RÉVOLUTION & EMPIRE, armée

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    Les insoumis furent plus nombreux dans certaines régions que dans d'autres : dans le Nord longtemps habitué à racheter le service, dans l'Ouest récemment insurgé, dans le Massif central ou les Pyrénées, pays de petits propriétaires qui voulaient garder une main-d'œuvre indispensable, dans les départements...
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