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INSTALLATION, art

La participation

Dans ce cadre expérimental, la position du spectateur peut aisément glisser du participant au cobaye, de l'actant au sujet. Les membres du Groupe de recherche d'art visuel (G.R.A.V.), organisé en France en 1961 autour d'Horacio Garcia-Rossi (1929-2012), Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino (1932-2014), Joël Stein et Jean-Pierre Yvaral (1934-2002), ont, en 1963, poussé le spectateur docile et distant, dans ses retranchements. « Nous voulons sortir le spectateur de sa dépendance apathique qui lui fait accepter d'une façon passive, non seulement ce qu'on lui impose comme art, mais tout un système de vie ». Ce qui ressemble à un programme de vie à consonance révolutionnaire trouve sa forme plastique dans un labyrinthe d'expérimentations interactives. La visite dans l'obscurité est ponctuée d'œuvres à actionner, à manipuler, à entendre, à voir, les œuvres étant rassemblées sous le sceau de l'anonymat pour mieux se concentrer sur la possibilité de choix du spectateur. Aucun acte n'est obligatoire, il revient au visiteur de s'interroger sur sa position passive et sur la distance quasi sacrée qu'on lui impose de garder habituellement à l'égard des œuvres d'art. « Défense de ne pas participer. Défense de ne pas toucher. Défense de ne pas casser », tels sont les ordres du manifeste du G.R.A.V. Précisons que, abrité par le parcours d'un couloir entièrement clos, le participant n'est nullement mis en scène et transformé en sujet. L'expérience vise essentiellement à travers cette « épreuve » artistique à l'affranchir de ses inhibitions.

Avec les Américains Bruce Nauman ou Dan Graham, l'installation devient vidéo et la caméra revêt une fonction de surveillance. Avec des caméras et des moniteurs, en effet, les deux artistes mettent à l'épreuve l'acuité du visiteur à l'égard du temps et de l'espace. Dans Present, Continuous, Past(s) (présenté pour le première fois en 1974 au musée d'Art moderne Georges-Pompidou), Dan Graham transforme cette fois le spectateur en « cobaye » dans un espace aux parois tapissées de miroirs réfléchissant le temps présent. Un moniteur visible dans l'espace diffuse, avec huit secondes de retard, ce que la caméra enregistre : le spectateur observe ainsi son passé désynchronisé. Il lui faudra quelques secondes, à son tour, pour « réaliser » le décalage et se mettre en scène en cherchant à anticiper la temporalité. Le présent se transforme ainsi en futur. À la fois ludique et théâtral, le système, une fois percé à jour, décortique les principes de perception et d'appréhension du spectateur. Un tel dispositif d'observation, tributaire de la présence et des déplacements du sujet, pose nécessairement la question de son inertie, et de son autonomie. L'installation dépend éminemment du spectateur sans lui être totalement tributaire et, dans sa transmission, la photographie jouera un rôle documentaire et démonstratif explicitant cette action. Telle installation ne sera pas montrée vide, considérée comme inactive, sans que pour autant l'absence d'acteur vienne invalider sa condition d'œuvre. Il s'agit là de l'une des nombreuses ambiguïtés de l'installation. Ces questionnements interviennent dans une décennie marquée par l'art minimal et par de nombreuses discussions sur l'autonomie de telles sculptures.

Dans les années 1990, un petit groupe d'artistes internationaux rassemblés par le critique français Nicolas Bourriaud sous le label de l'Esthétique relationnelle (1998) a pratiqué un art de l'interaction. Le terme « relationnel » a pu être pris à propos de l'interactivité, mais il s'agit dans ce cas précis d'organiser les conditions favorables à l'émergence d'une communauté « spontanée », éphémère[...]

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Écrit par

  • : critique d'art, historienne de l'art spécialisée en art écologique américain

Classification

Média

Yayoi Kusama : «Kusamatrix» - crédits : Junko Kimura/ Getty Images News/ AFP

Yayoi Kusama : «Kusamatrix»

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