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INSTITUTION

La notion d'institution est centrale en sciences sociales. Émile Durkheim, d'ailleurs, présentait la sociologie comme « la science des institutions ». Il suffit de se reporter à la définition qu'en propose le politiste français Jacques Lagroye pour en comprendre les raisons. Selon lui, l'institution désigne un ensemble de pratiques, de rites et de règles de conduite entre des personnes ainsi que l'ensemble des représentations qui concernent ces pratiques, qui définissent leur signification et qui tendent à justifier leur existence. Derrière la simplicité du mot « institution » se cache donc une réalité complexe, laquelle n'est pas sans conséquence sur les travaux spécialisés dans ce domaine de la recherche en sciences sociales. La notion a en effet des sens variés selon les différentes disciplines (droit, science politique, sociologie...), à l'intérieur même de chaque discipline, les travaux aboutissent à des conclusions différentes selon que leurs auteurs insistent sur les caractéristiques « micro » ou « macro » des phénomènes institutionnels, sur le poids des aspects cognitifs et normatifs des institutions, sur l'importance qu'il faut accorder aux intérêts et aux réseaux relationnels dans la création et la diffusion des institutions, etc. C'est dire que, à s'en tenir à l'état des études qui s'y rapportent, la notion d'institution ressemble fort à une auberge espagnole. On y entre en outre par des portes diamétralement opposées sur au moins trois questions.

L'influence des institutions sur les individus

Dans quelle mesure les institutions exercent-elles une influence sur la façon dont les acteurs sociaux – individuels ou collectifs – formulent les fins et les moyens de leur action ? Telle est la première question qui fait débat au sein de la communauté scientifique. Question centrale s'il en est, car de la réponse à cette question dépend l'importance que l'on accorde aux institutions dans l'explication du comportement des acteurs. La majorité des spécialistes leur accordent un pouvoir contraignant, considérant que l'ordre institutionnel enserre les conduites et les rôles dans un réseau de contraintes, fournit aux individus et aux groupes des modèles d'action ou des lignes de conduite. L'institution intervient donc dans la structuration des choix et des calculs, ne serait-ce que parce qu'elle permet d'anticiper les coups potentiels des partenaires et adversaires. Certains auteurs vont cependant plus loin en affirmant que l'institution détermine également nos façons de penser, nos préférences et jusqu'à nos émotions les plus intimes (Mary Douglas en anthropologie, Robert O. Kehoane en relations internationales, ou encore Paul DiMaggio et Walter Powell dans l'étude des organisations).

Cette façon d'appréhender les institutions comme des variables limitant la marge de liberté des acteurs n'est cependant pas sans poser problème. Elle se heurte d'abord à une question : si les institutions exercent une telle influence sur les personnes, comment un changement institutionnel peut-il advenir ? Elle occulte ensuite le fait que les institutions fournissent également des ressources aux acteurs. Par exemple, la personne qui occupe la position présidentielle en France est la seule à pouvoir dissoudre l'Assemblée nationale ou à enclencher l'arme nucléaire. De ce point de vue, les institutions peuvent se concevoir comme « un ensemble de positions qui autorisent ceux qui s'en réclament à se livrer légitimement à des pratiques sans encourir le risque d'être accusés d'imposture ou d'arbitraire » (Bastien François, « Le Président, pontife constitutionnel », in Bernard Lacroix et Jacques Lagroye dir., Le Président de la République, 1992).

Faut-il alors en déduire[...]

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Écrit par

  • : docteur en science politique, maître de conférences en science politique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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